Une page se tourne pour André Piette

L’heure de la retraite a sonné pour le journaliste André Piette que vous avez pu lire dans cette revue durant quelques décennies. On discute avec lui des moments les plus marquants de sa carrière.

André Piette n’avait pas prévu être journaliste, mais la vie fait parfois bien les choses. « Je suis devenu journaliste par hasard », résume-t-il. Tout a commencé alors qu’il était étudiant en agronomie à l’Université Laval. « Un jour, en sortant de la bibliothèque, quelqu’un m’a interpellé en me demandant si je voulais devenir journaliste à La Terre de chez nous », se remémore André. Il faut dire qu’il était impliqué dans le comité étudiant de sa faculté et s’était fait remarquer pour ses qualités de vulgarisateur lors d’une conférence qu’il avait donnée quelques jours auparavant.

« Il me restait une année de bac à faire, alors je lui ai proposé d’être stagiaire durant l’été et j’ai continué de travailler à la TCN à temps partiel durant ma dernière année d’études. Quand j’ai fini mon bac, j’ai décidé de m’orienter vers le journalisme et de travailler à mon compte », dit-il.

André a écrit pour plusieurs publications agricoles durant les années qui ont suivi. Il a même travaillé exclusivement pour Le producteur de lait québécois pendant quatre ans. « En 2005, ajoute-t-il, j’ai pris une pause du journalisme. J’avais besoin de faire quelque chose de plus concret. J’ai été conseiller dans un centre local de développement pendant 10 ans. » Il est revenu par la suite au journalisme jusqu’à son départ pour la retraite en avril dernier.

« Est-ce que j’aurais choisi ce métier sans ce hasard à la sortie de la bibliothèque? Je ne sais pas », dit-il. Une chose est sûre, André Piette a adoré le journalisme agricole. Il explique : « Pour écrire un reportage, tu te rends dans des fermes qui se démarquent par leur histoire, leurs équipements ou leurs performances. Derrière ces histoires, il y a des gens remarquables. Ça m’a frappé du premier au dernier jour. »

André considère d’ailleurs que son métier l’a toujours placé dans une position privilégiée parce que durant une entrevue, les producteurs acceptent de se confier à lui, un inconnu. « C’est intéressant de les rencontrer et de jaser avec eux, révèle le journaliste. Les producteurs sont très agréables à interviewer, ils sont généralement sincères et francs. »

« Au début, poursuit-il en riant, je disais à mon entourage que ce qui m’intéressait le plus dans mon métier, ce n’était pas l’agriculture, mais les agriculteurs. C’était une blague, mais il y avait tout de même là un fond de vérité. »

Avec le temps, il a commencé à s’intéresser de plus en plus aux performances agronomiques des entreprises, autant dans les champs qu’à l’étable. « Un des aspects intéressants à aller d’une ferme à l’autre, c’est d’observer la grande diversité des modèles d’entreprise et de se rendre compte qu’il n’y en a pas un meilleur que les autres. Il y a des petites, comme des grosses, entreprises très rentables. Et il y en a qui performent avec les balles rondes plutôt qu’avec silos-fosses », donne-t-il en exemple.

Des histoires qui marquent

Durant sa carrière, André a été particulièrement marqué par l’ingéniosité dont font preuve les producteurs de lait. « Certains excellent dans l’art de faire beaucoup avec peu. J’ai rencontré des producteurs qui ont profité du fait que leurs bâtiments étaient disposés en U pour aménager des parcs de vêlage au milieu. Trois murs étaient déjà en place quand ils ont installé les parcs », raconte-t-il. Le journaliste cite aussi en exemple un couple qui a converti son étable à attaches en étable robotisée pour une fraction du prix de ce qu’aurait coûté un bâtiment neuf.

Parfois, l’ingéniosité des producteurs était d’ailleurs très surprenante. « J’ai rencontré des producteurs qui avaient réussi à rendre cultivables leurs terres impropres à l’agriculture en sortant des sentiers battus. Leurs méthodes mettaient en doute les façons de faire recommandées, explique-t-il. Ces gens-là ne faisaient rien comme tout le monde, mais ils réussissaient. C’était déstabilisant pour moi. Je me demandais si c’était vraiment fondé, je ne peux pas dire n’importe quoi dans mes articles. »

« C’est bien connu, ajoute André, les agriculteurs ont aussi un grand sens de l’entraide. Je me souviens d’un couple qui a pu s’établir en production hors-sol et grossir à plus de 200 kilos de matière grasse en l’espace d’une douzaine d’années à peine grâce au coup de main d’une entreprise voisine qui lui fournissait une partie importante de ses fourrages. Et grâce, évidemment, à un travail acharné. »

Il mentionne que son métier demande une certaine empathie pour comprendre les sentiments et les émotions des gens interviewés. « Dans une entrevue de 90 minutes, comme journaliste, je me rapprochais des producteurs à un degré que des circonstances ordinaires ne rendent généralement pas possible. Mais il y a un revers à cette médaille, car on s’attache aux gens, dit-il. J’ai fait, entre autres, une entrevue avec un jeune couple qui avait des enfants. C’était deux diplômés de l’ITA qui avaient réussi à s’établir même si leur capacité financière était très limitée. Environ un an après mon reportage, je pensais faire un arrêt chez eux, mais j’ai appris qu’ils avaient divorcé. »

André poursuit : « Il y a aussi beaucoup de choses que je n’écrivais pas dans mes articles et qui restaient entre moi et les producteurs. Par exemple, j’ai fait un reportage chez un producteur de lait qui venait d’apprendre qu’il allait devenir aveugle. C’était une question de mois. C’était inéluctable. Il le prenait bien, mais c’était émotif. »

Il y a aussi eu un entretien avec un producteur immigrant et son fi ls. « Ils me racontaient à quel point c’était difficile socialement de s’intégrer. C’était touchant », se souvient le journaliste.

Mais sa rencontre la plus émouvante a été celle d’un père qui venait de transférer la ferme à son fils. « Le transfert était presque complété. Le fils était actionnaire majoritaire. À un moment donné, je me suis mis à parler seul à seul avec le père. Il m’a confi é qu’il trouvait trop difficile de ne plus être celui qui décidait et qu’il songeait à se retirer complètement de l’entreprise », raconte-t-il.

Témoin de grands changements

Durant sa carrière, André Piette a été un témoin important de l’évolution de l’agriculture. Qu’est-ce qui a le plus changé selon lui? « Le rôle des femmes en agriculture, dit-il d’abord. Elles sont maintenant actionnaires des entreprises et elles prennent part aux décisions, elles ne sont pas uniquement impliquées dans les travaux de la ferme. »

Il a également été marqué par le développement et la croissance des fermes. « Elles sont devenues des entreprises. Avant, 60 vaches représentaient un gros troupeau. Aujourd’hui, c’est différent. Les chiffres d’affaires sont plus élevés et les producteurs sont devenus des gestionnaires. La technologie a aussi évolué, notamment les robots de traite. Et ça va continuer de se développer, on n’a rien vu encore. »

Le mot de la fin

André Piette a-t-il un message à livrer à ceux et celles qui lui ont ouvert les portes de leur ferme tout au long de sa carrière? « J’en aurais deux. Je trouve qu’on n’est pas assez fiers de nos fermes laitières au Québec. J’ai voyagé beaucoup et j’ai fait des reportages ailleurs. Je peux dire que les producteurs auraient le droit de se montrer plus fiers de ce qu’ils sont et de ce qu’ils ont bâti. »

Il poursuit : « En 2024, les producteurs ont vraiment intérêt à ce que la population perçoive leur industrie comme soucieuse de l’environnement et du bien-être animal. » Selon lui, si les gens mettent moins de produits d’origine animale sur la table, ce n’est pas pour une question de goût, mais bien d’empreinte environnementale. « L’ensemble de la population et les agriculteurs ont établi un lien de confiance pour la qualité des aliments. Dans un monde idéal, il faudrait développer un lien semblable pour la protection de l’environnement », conclut-il.