Sophie et ses championnes

À la Ferme Panama, les 39 vaches en lactation vont aux pâturages et sont nourries à l’herbe. Un véritable mode de vie pour Sophie Bédard qui est copropriétaire de l’entreprise depuis six ans.

Sophie n’a pas grandi dans une ferme. Au secondaire, elle s’imaginait devenir pompière. « Je me voyais faire un travail très physique et mentalement prenant », se souvient-elle.  Sophie a finalement étudié en arts plastiques, en mode et en mécanique automobile. « J’aurais aimé qu’on me dise à l’école qu’être fermière est une job qui permet de faire de l’activité physique tous les jours, de se tenir en santé et de nourrir d’autres personnes. On oublie de dire que c’est possible d’étudier en agriculture et qu’on peut bien réussir sa vie en faisant ce métier », dit celle qui étudie présentement au cégep en gestion d’entreprise agricole.

Mais comment a-t-elle donc abouti à la Ferme Panama? « Je connais la Ferme Panama depuis 20 ans. La première fois que j’y ai mis les pieds, j’ai vu Francine, la propriétaire, traire ses vaches. Jamais, je n’aurais pensé faire ça moi aussi! Un jour, j’ai connu Dave, le fils de Francine, raconte-t-elle en souriant. Et puis, on a commencé à sortir ensemble. Ça fait maintenant 15 ans que je suis sur la ferme et six ans que je suis copropriétaire ».

Le couple a trois enfants, Alice, Anne et Dany, qui ont 11, 8 et 6 ans. Avec la vie de famille, la gestion de la ferme et le retour aux études, on peut dire que Sophie est bien occupée. Comment arrive-t-elle à trouver un certain équilibre? « On fait des choix au quotidien. Je ne me verrais pas avoir une ferme de 80 vaches à traire, avec des foins, du maïs et du soya à récolter. On a choisi d’avoir une petite ferme où on va s’épanouir et être capables de faire tout ce qu’on veut dans notre journée », explique-t-elle.

Des vaches qui vivent au gré des saisons

« Envoyer les vaches aux pâturages, c’est quelque chose qui est devenu important pour moi grâce à Francine et Dave, dit Sophie. La ferme a toujours eu des vaches aux pâturages. Quand Dave l’a reprise, il a voulu continuer de travailler de cette manière tout en rendant l’entreprise rentable année après année. »

Elle poursuit : « Nos vaches vivent au rythme des saisons. Au printemps, quand on ouvre la porte de la ferme, les plus vieilles vaches bougent et se demandent si c’est le temps d’aller dehors. Elles ont hâte. La journée qu’elles sortent, c’est magique! Elles sont heureuses et, moi, je suis aussi énervée qu’elles! C’est beau de voir comment elles créent des liens et une hiérarchie. »

Les vaches passent l’été dehors. Elles ne retournent à l’intérieur que pour la traite deux fois par jour et s’il y a une canicule. Puis, quelques mois plus tard, la période d’hivernage s’amorce. « Le printemps, elles ont hâte de sortir, mais l’automne, c’est l’inverse. Quand on ouvre la porte pour que les vaches sortent après la traite, les plus vieilles se couchent. Elles sentent que l’hiver arrive. Elles ont hâte de s’évacher, de se faire nourrir et câliner. C’est normal, durant l’hiver, nous aussi on a juste envie de fondue chinoise et de série télé. »

Les défis des pâturages

Pour Sophie, avoir des vaches aux pâturages représente un certain défi, mais c’est un mode de vie qu’elle ne changerait pas. « Tu ne peux pas décider d’envoyer tes vaches dehors du jour au lendemain, dit-elle. Ça demande de la préparation. Il faut savoir gérer son troupeau, manipuler les vaches, les comprendre et, surtout, voir l’environnement comme elles. Mais une fois que tu commences le pâturage, tu ne peux plus t’arrêter. » Sophie et Dave améliorent d’ailleurs sans cesse leurs façons de faire. « C’est un puits sans fond de connaissances qu’on explore année après année, révèle la propriétaire. Il y a des pratiques qu’on pensait faire comme il faut et finalement, on a découvert qu’il y a des moyens de faire mieux. On monte de niveau tout le temps. »

Y a-t-il des risques? « Oui, répond Sophie, comme il y a des risques à garder les vaches à l’intérieur à l’année. Je pense que le seul risque qu’on court est financier, parce qu’envoyer des vaches à l’extérieur, ce n’est pas ce qui est le plus payant. On ne fait pas notre meilleur revenu l’été quand les vaches marchent et mangent dehors, mais c’est durant cette période que ça nous coûte le moins cher de produire. »

Sophie et Dave élèvent principalement des holsteins, mais ils ont commencé à faire des croisements génétiques pour se doter d’un troupeau plus adapté à leurs pratiques d’élevage. « On est obligés de créer nos propres vaches et de se lancer dans le vide pour aller chercher une génétique différente, parce que les holsteins ne répondent plus à nos besoins en longévité et en santé en général. On veut des vaches qui sont capables d’aller dehors et d’agir sans se faire mal », explique Sophie. Les deux agriculteurs croisent leurs holsteins avec des montbéliardes, des suisses brunes et des ayrshires. « Notre croisement préféré, dit-elle, c’est holstein et ayrshire. Elles ont une longévité incroyable! »

Aujourd’hui, on tient un peu pour acquis que les femmes sont les bienvenues dans les fermes et peuvent réaliser n’importe quelles tâches. Mais ça n’a pas toujours été comme ça. Il ne faut pas oublier que des femmes ont rêvé d’agriculture et se sont imposées avant nous. C’est à cause d’elles qu’aujourd’hui, je peux vivre de ce métier.

Une entreprise qui leur ressemble et des projets

Sophie et Dave ont bâti au fil des ans une entreprise à leur image. Au coeur de leurs pratiques d’élevage, il y a un respect profond de leurs vaches, mais aussi une volonté de favoriser la biodiversité sur leurs terres. « Mes vaches, ce sont toutes mes championnes! lance Sophie J’ai choisi de les avoir, alors je suis là pour m’occuper d’elles. Je les vois naître, être avec leur mère, devenir des génisses et des taures, aller manger l’herbe à l’extérieur, puis redonner à la terre ce qu’elles prennent. C’est une roue plus grande qu’on peut le croire. Ça me fait capoter! Il faut que j’arrête de parler de mes vaches, sinon je vais pleurer. »

Elle poursuit tout de même : « Ce qui me fait vibrer, c’est aussi de voir la biodiversité se multiplier devant nous. Chaque année, on voit de nouvelles hirondelles arriver sur nos terres et plein de nouvelles sortes d’oiseaux. »

Quels sont les projets de Sophie et Dave pour les prochains mois? « On a un million de projets! À court terme, on veut surtout améliorer notre préparation au vêlage. Quand les vaches sont aux pâturages, on va les voir, mais la préparation au vêlage pourrait être mieux faite et dans de meilleures conditions, dit Sophie. Nos vaches restent avec leur veau, deux, trois ou quatre jours s’il le faut. Donc, on veut vraiment créer un endroit qui peut accueillir autant les mamans que les bébés. Ensuite, on va les ramener dans la vacherie pour partir la lactation. »

La fierté de partager son métier

Sophie adore son quotidien à la ferme et elle ne se verrait pas faire un autre métier. Elle est reconnaissante envers les femmes qui ont tracé le chemin avant elle. « Aujourd’hui, souligne-t-elle, on tient un peu pour acquis que les femmes sont les bienvenues dans les fermes et peuvent réaliser n’importe quelles tâches. Mais ça n’a pas toujours été comme ça. Il ne faut pas oublier que des femmes ont rêvé d’agriculture et se sont imposées avant nous. C’est à cause d’elles qu’aujourd’hui, je peux vivre de ce métier. »

« Ce dont je suis le plus fière, c’est de partager ma passion. Je reçois beaucoup d’amis et de la famille à la ferme. Il y a des adolescentes qui me voient gérer un troupeau de 80 vaches, et qui se disent : “Si elle, elle est capable de faire ça, moi aussi je suis capable et je peux faire n’importe quoi’’. Je travaille à la ferme, je gère mon tracteur, ce n’est pas juste mon mari qui fait ça. C’est ma ferme aussi! »

Du bonheur et du soleil

Le nom Ferme Panama pique la curiosité de plusieurs. Pourquoi avoir choisi ce nom? « Francine, la mère de Dave, ne voulait pas utiliser une combinaison de son nom de famille et de celui de son mari. Elle voulait un nom qui allait traverser le temps et qui faisait du sens pour elle. La Ferme Panama, c’est un nom parfait parce qu’ici on fait pousser du bonheur et du soleil! », résume Sophie.