« Une boîte à lunch et des connaissances »

Partis de rien, Francis Lachapelle et Stéphanie Leclerc ont réussi en seulement 12 ans à bâtir une exploitation d’une capacité de 200 kilos de matières grasses.

Quand on aperçoit l’étable rouge sang à partir de la route, on ne se douterait pas que le troupeau qu’elle abrite produit plus de 200 kilos de matières grasses. « Il y a bien des visiteurs qui sont surpris », confirme Stéphanie, qui ajoute en riant : « Y a pas un pied carré qui se perd! »

Ce n’est pas la seule surprise que réserve la Ferme Carolait de Saint-Évariste, en Beauce. Il y a aussi le fait que partis de rien il y a 12 ans, ses propriétaires sont parvenus à gonfler leur quota de production de 60 à 200 kilos.

Francis Lachapelle et Stéphanie Leclerc ont un parcours très particulier. Un parcours rappelant qu’il est possible de réussir un démarrage en production laitière en dehors du processus habituel du transfert familial. Dans leur cas, la formule reposait sur l’appui d’une autre ferme laitière, un bon bagage d’expérience ainsi qu’un solide réseau de conseillers. Et du travail, beaucoup de travail.

Stéphanie et Francis nous ont accueillis un beau samedi matin de février. Leurs deux employés guatémaltèques étant en congé, ils venaient de faire la traite et c’est tout en déjeunant qu’ils nous ont raconté leur histoire.

Une histoire qui débute en 2010. À l’époque, Francis travaillait à la Ferme St-Pierre inc., de Courcelles, propriété de Patrick, Marquis et Richard St-Pierre. Il avait déjà acquis de bonnes années d’expérience, principalement à la Ferme du Cabouron, à Saint-Romain. Fils d’un ancien producteur laitier du Témiscamingue, Francis caressait depuis toujours le rêve de posséder un troupeau. « J’avais dit à Patrick et Marquis que la journée où se présenterait une opportunité de m’établir, c’était sûr que j’allais la regarder », raconte-t-il.

Il a trouvé l’opportunité sur place! Il s’avère que les copropriétaires de la Ferme St-Pierre avaient racheté une terre à Saint-Évariste, à quelques kilomètres de chez eux, pour combler leurs besoins fourragers et pour pouvoir éventuellement prendre de l’expansion. Francis leur a proposé de louer l’étable qui s’y trouvait. Le projet ébauché par sa conjointe et lui consistait à acquérir un troupeau et son quota, puis à s’approvisionner en fourrages – ensilages de maïs et de foin – à la Ferme St-Pierre. En somme, c’était de la production de lait hors-sol, pour reprendre une formule bien connue en production porcine.

Sauf que le jeune couple n’avait pas de ressources financières. « On avait une boîte à lunch puis des connaissances », lance Francis en riant. Patrick et Marquis leur mettront le pied dans l’étrier en fournissant une partie des garanties requises pour le financement de leur démarrage. « Ce sont les St-Pierre qui nous ont permis de décoller, atteste Stéphanie. Sans eux, on ne serait pas où on en est aujourd’hui. »

 

Francis, Marilou, Stéphanie et Carolanne (accroupie)

Le risque associé au fait de fournir des garanties n’a pas freiné les St-Pierre. « On a embarqué là-dedans tête baissée, raconte Patrick. On avait grandement confiance en Francis. Il travaillait pour nous et on voyait que les animaux, c’était sa force. Et puis, ça nous faisait plaisir d’aider des jeunes à démarrer. » Il faut dire que l’entente comportait certains avantages pour leur propre ferme. « On avait des surplus de récolte et l’entente nous permettait de les écouler, ajoute-t-il. En plus, on avait accès au fumier de la ferme, ce qui venait réduire nos coûts de fertilisation. »

Écumant les petites annonces, Francis et Stéphanie dénichent un troupeau de 72 vaches auquel est rattaché un quota de 60 kilos de matières grasses (NDLR À l’époque, la réglementation permettait encore de transférer un troupeau et son quota). Appuyés par le père de Stéphanie et par Patrick, ils multiplient les heures de travail pour réaménager l’étable. Selon la productrice, « Francis a passé des nuits entières à travailler dans l’étable ». Ils élargissent les 44 stalles des vaches et ils transforment celles réservées autrefois aux taures de sorte que la capacité du bâtiment passe à 60 vaches en production. Un système complet de traite est réinstallé et le système de ventilation fait l’objet d’une mise à niveau. Comme il y a à peine trois pieds d’espace entre les deux rangées de stalles tête à tête, un système de distribution par convoyeur est mis en place. « Au bout du compte, pour pouvoir démarrer, on a eu besoin d’un financement de 1,9 million de dollars », indique Francis. Soulignons que cela équivaut à un endettement de 325 dollars l’hectolitre.

À partir de là, l’histoire de la Ferme Carolait peut se résumer à une expansion pratiquement ininterrompue qui a porté le troupeau à 145 vaches et à une centaine de sujets de remplacement. Au total, le couple estime avoir investi environ 450 000 dollars dans l’agrandissement et l’amélioration du bâtiment en location. Celui-ci a dû être agrandi à deux reprises. Les taures et les taries ont été déplacées dans une autre étable à quelques kilomètres de là. Tout récemment, un dôme a été érigé pour les sujets en prévêlage. « Jamais je n’aurais cru qu’ils auraient pu prendre aussi vite de l’expansion, commente Patrick. C’est assez impressionnant. Ce sont clairement des fonceurs. »

Une expansion qui s’est traduite par des investissements considérables dans le quota de production. « En 12 ans, il n’y a que trois mois où on n’a pas misé pour acheter du quota », révèle Stéphanie, qui ajoute : « L’important, c’est que la majorité de nos investissements sont productifs. Comme le dit notre conseiller en financement, le troupeau, c’est le moteur de l’entreprise. »

Les taures et les vaches taries sont logées dans une étable située à une dizaine de kilomètres de la ferme. Elles sont ramenées à la ferme sous ce dôme quelques semaines avant le vêlage pour pouvoir en faire un suivi étroit.

Productif, leur troupeau holstein l’est assurément. Grâce à un taux de gras de 4,5 %, il affiche une production moyenne par vache de 1,65 kilo de matière grasse (avec trois traites par jour). « Francis et Stéphanie ont un des cinq meilleurs coûts d’alimentation à l’hectolitre de notre bureau, affirme leur conseiller en financement, Jacques DeBlois, de Financement agricole Canada. Il s’élève à 16,85 dollars par hectolitre alors que le coût d’alimentation moyen de notre clientèle est de 19,78 dollars. À noter que cela inclut à la fois les vaches en lait, les taries et les taures. »

Cette productivité a permis au couple de ramener son endettement à 200 dollars l’hectolitre tout en gonflant son quota de 60 à 200 kilos. « L’achat répétitif de quota est venu ralentir la diminution de la dette, observe Jacques DeBlois. En plus, ils font régulièrement des améliorations à leurs bâtiments et à leurs équipements. Il est important de noter que la période d’amortissement de leurs emprunts n’est que de dix ans. Ils remboursent énormément de capital. Si demain matin ils décidaient de remonter leur endettement à 325 dollars l’hectolitre, ils pourraient emprunter 2,5 millions de dollars. »

 

L’espace est si restreint entre ces deux rangées de stalles que l’installation d’un convoyeur d’alimentation s’est avérée nécessaire. Le troupeau maintient une production moyenne par vache de 1,65 kilos de matière grasse avec trois traites.

Deux inconvénients

Le modèle d’entreprise développé par Francis et Stéphanie comporte néanmoins un talon d’Achille. Puisqu’ils ne possèdent pas de terres, ils ne peuvent profiter de l’augmentation de leur valeur foncière pour renforcer leur équité. Par ailleurs, la production hors-sol amène un autre défi : l’approvisionnement en fourrages. « À force de grossir, il nous faut de plus en plus de fourrages, et acheter du foin commence à être difficile, affirme Francis. Dans notre secteur, les producteurs ont tendance à semer du soya ou d’autres grains plutôt que d’implanter des prairies, étant donné le prix des grains. »

« Notre chance, ajoute le producteur de 38 ans, c’est que la Ferme St-Pierre peut nous fournir amplement de maïs ensilage. L’an dernier, on fonctionnait avec 30-32 kilos dans la ration. » Ils assument eux-mêmes l’enrobage des balles rondes. À certains moments, ils en entreposent jusqu’à 1 500. « On aime avoir une réserve, dit Stéphanie. Quand le prix a du sens, on achète. Francis vient d’en acheter encore 300. »

Les scénarios d’avenir

Où la Ferme Carolait en sera-t-elle dans 10 ans? Stéphanie et Francis sont bien en peine de le prédire. En théorie, deux scénarios s’offrent à eux. Le premier, c’est qu’ils peuvent garder le cap et demeurer en location. En sachant toutefois qu’il sera difficile de continuer à prendre de l’expansion dans l’avenir, puisque leurs installations ne permettent pas de loger plus de 150 vaches en lactation.

L’autre scénario serait, comme on s’en doute, d’acquérir une entreprise complète, le défi étant d’en trouver une convenant à leurs besoins et offerte à un prix à hauteur de leurs capacités financières. On verra bien où la vie les mènera!

 

 

Une formule à promouvoir

On voit peu d’entreprises hors-sol comme celle de Francis et Stéphanie. « À vrai dire, indique Jacques DeBlois, de Financement agricole Canada, il se fait plus souvent du lait hors-sol qu’on pense, mais c’est généralement dans un contexte familial. Pour faciliter le transfert, la relève commence par acquérir les biens mobiliers – quota, animaux et machinerie – et elle repousse à plus tard l’acquisition des terres et des bâtiments. On le voit beaucoup parmi les jeunes qui démarrent. »

« On a quand même quelques dossiers sans lien familial où le vendeur conserve les terres et le parc de machinerie, poursuit le conseiller en financement. Le jeune loue l’étable tout en visant à acheter le terrain un jour. »

« C’est une formule qui gagnerait à être utilisée plus souvent », estime-t-il.