Trois fermes, un système d’épandage par irrigation

Des producteurs du Centre-du-Québec se sont regroupés pour profiter des avantages de l’épandage du lisier par irrigation.

Trois kilomètres! C’est la distance à laquelle la rampe d’irrigation peut s’éloigner de la fosse à lisier. Ça en fait des boyaux à dérouler! En entendant cette remarque, Sett Durer hausse les épaules : « Installer le système d’irrigation représente environ une demi-journée. Mais un coup installé, ça va vite! »

Depuis 2022, le producteur de Bécancour exploite un système d’épandage de lisier par irrigation avec deux autres producteurs (voir l’encadré : L’anatomie…). Tous trois habitent la même région. Sett est copropriétaire de deux entreprises qui produisent au total 730 kilos de matières grasses. Couvrant 860 hectares, les cultures comprennent du maïs-grain, du maïs ensilage, du soya, des prairies et du blé de printemps (qui sert d’apport de fibre à la ration).

Dominic Drapeau, un de ses partenaires, donne un exemple démontrant à quel point ça va vite une fois le système d’irrigation installé. « L’an dernier, dans ce secteur-ci de notre ferme, on a mis 1,8 million de gallons, dit-il en pointant un endroit sur une carte. Ça a pris seulement 20 heures. On couvrait 6,1 hectares à l’heure au rythme de 89 000 gallons à l’heure. Quand on faisait le même travail avec des citernes, on épandait seulement 24 000 gallons à l’heure tout en consommant quatre fois plus de diesel. Et pourtant, la fosse était à seulement 500 mètres. » Dominic est copropriétaire de la Ferme Drapeau et Bélanger, qui est située à Sainte-Françoise. Celle-ci comprend un quota de 1 290 kilos de matières grasses et 1 800 hectares en culture.

Le troisième membre du trio est la Ferme Parisbel, qui se trouve à Parisville et qui comprend un quota de 225 kilos et 850 acres en culture. Détail intéressant, cette entreprise était propriétaire unique du système d’irrigation jusqu’à l’an dernier. « On l’avait acquis il y a huit ans pour faire du forfait, explique Sylvain Habel, un des copropriétaires. Mais comme on manquait de main-d’œuvre, on a décidé l’an dernier de mettre la pédale douce sur le forfait. Alors, au lieu de garder le système pour nous seuls, on a offert à Dominic et à Sett d’en partager la propriété. C’est quand même un système assez coûteux. »

Ces derniers ne semblent pas avoir hésité une seconde à embarquer dans le projet. « On était déjà les clients de Sylvain depuis plusieurs années et on connaissait bien les avantages de l’épandage de lisier par irrigation, raconte Dominic. En fait, on serait restés volontiers à forfait s’il avait continué d’offrir le service. On en était bien satisfaits. On a bien d’autres tâches à faire au printemps avec les semis qui s’en viennent. » (voir l’encadré: « On a une belle poignée de main »)

« On a une maudite belle poignée de main »

Sylvain, Sett et Dominic possèdent chacun un tiers du système d’irrigation. Quand il a cédé des parts, Sylvain a estimé que le système valait 375 000 dollars. L’affaire s’est scellée par une poignée de main. Cela pourrait en faire sourciller certains, mais les trois producteurs n’ont aucune entente écrite précisant les modalités de copropriété. « On a une maudite belle poignée de main », blague Dominic. Il faut dire que les trois producteurs se connaissent depuis des décennies. « On se respecte les uns les autres, déclare Sett. C’est une question de confiance et aussi de mentalité. Dans un projet de ce genre, il faut vraiment bien se connaître. Je ne dis pas que j’aimerais faire ça avec dix personnes. »

« On pense tous pareil, enchaîne Michel, le père de Dominic. On ne s’enfarge pas dans les fleurs du tapis. Par exemple, la machine a brisé cette année. On n’a pas demandé à Pierre Jean Jacques si on devait commencer à réparer. On l’a réparée. Une autre année, ça pourrait arriver chez Sett. On se partage les factures de réparation. »

« Ce n’est pas tant d’argent que ça non plus, 125 000 dollars, reprend Sett. Ce n’est même pas le prix d’une citerne à lisier de 6 000 gallons ». Précisons que les trois producteurs ne partagent aucun autre équipement ou service. Ce qui aide aussi au maintien d’un bon climat d’entente, c’est que le niveau de stress n’est pas très élevé quand vient le temps d’irriguer. « Chez nous, on fait le travail en seulement trois jours », illustre Sett.

La répartition des coûts d’exploitation du système d’irrigation se fait au prorata du nombre de gallons épandus. Pour déterminer quelle ferme a priorité dans l’utilisation du système, on applique le principe d’alternance. « Mais on reste ouverts aux accommodements », s’empresse de dire Dominic. Pour fonctionner à plein rendement, le système d’irrigation exige trois personnes à temps plein et une à demi-temps. Chaque ferme utilise son propre personnel et ses tracteurs, à une exception près : leur entente prévoit que l’employé de la Ferme Parisbel qui gérait les chantiers d’irrigation à forfait gère ceux des trois partenaires et assure l’entretien du système. Sett affirme, enthousiaste : « On a la chance de se faire coacher par Pierre-Luc. Irriguer, il faut l’avoir déjà fait pour que ça aille bien. Il y a une méthode de travail. Il n’y a rien de plus relaxant que d’avoir un bon coach. C’est de l’argent bien investi. »

Au printemps et en automne

Sylvain fait usage du système d’irrigation à l’automne après l’ensilage du maïs. « Ça fouette le ray-grass ou le trèfle qu’on a semé en intercalaire », dit-il. De leur côté, Sett et Dominic irriguent au printemps. « Nos fosses sont pleines, alors il faut sortir du fumier, dit Sett. On n’a pas le goût de sortir la tank au printemps. Ça causerait trop de compaction. »

Leur chantier d’irrigation se déroule environ une semaine avant les semis. L’épandage est suivi d’un coup de herse légère pour enfouir le lisier. C’est évidemment au maïs que le fertilisant organique est destiné en priorité. Le soya et certaines prairies en reçoivent aussi une partie.

Alors que d’autres font ce choix, les deux producteurs écartent l’option d’irriguer en postlevée. « La principale raison, c’est qu’on a plus de temps avant les semis qu’après, explique Sett. Quand on a fini de semer, on rentre dans les foins. »

Au final, ce n’est qu’une petite partie de leur lisier qui est épandu par irrigation. « L’an passé, sur une production annuelle de 11 millions de gallons de lisier, on a irrigué avec 3,3 millions de gallons, témoigne Dominic. Mais même avec cette quantité, ça vaut la peine d’irriguer. »

« Éventuellement, on pourrait augmenter l’irrigation, poursuit-il. Actuellement, on a des fosses pour irriguer 500 de nos 1 800 hectares. On envisage de bâtir des fosses orphelines pour pouvoir en couvrir davantage. On en a déjà bâti une en plein milieu d’un bloc de 225 hectares. Actuellement, trois et parfois quatre de nos sept fosses servent pour l’irrigation. »

« L’irrigation, c’est l’avenir »

Les trois partenaires se montrent convaincus que l’épandage de lisier par aspersion constitue une formule gagnante. « Je n’ai pas comparé tous les coûts avec ceux de l’épandage avec citerne, fait remarquer Dominic. Il faudrait tenir compte de la dépréciation sur les tracteurs et les citernes. Ce qui est sûr, c’est qu’avec l’irrigation, tu fais bien moins de route et le tracteur ne force pas. Compte tenu du coût de la machinerie aujourd’hui, je suis sûr qu’on est gagnants. »

Bien sûr, des bris surviennent. Surtout des bris de tuyau. Sett rapporte en avoir subi un l’an dernier alors que Dominic en a eu trois. Évidemment, le boyau mobile est le plus susceptible de subir une perforation. « Dans ce temps-là, dit Sett, on bouche le boyau de chaque côté avec une roue de tracteur, on répare et on repart.»

Ils essaient de minimiser les risques de perforation. « S’il y a un peu de roches dans un champ, on ne passe pas d’équipement avec des dents, indique Dominic. Au pire, on va passer un outil à disques.»

« Les tuyaux finiront pas être usés un jour, reprend Sett. Surtout ceux qui sont traînés au sol. J’imagine qu’on va en venir à changer un tuyau de temps en temps. »

Si ces producteurs croient que l’irrigation leur permet de réduire certaines dépenses directes, comme le diesel ou les pneus, ils estiment important de tenir compte aussi des avantages indirects. « En épandant le fumier au printemps plutôt qu’à l’automne, on a bien moins de pertes d’azote, de phosphore et de potasse, souligne Dominic. Et si on épandait avec une citerne au printemps, ça causerait tellement de compaction! Les cultures sont rendues coûteuses, on ne peut pas se permettre de perdre du rendement. »

«C’est pour ça que c’est l’avenir, l’irrigation», conclut le producteur.

Un aperçu des équipements utilisés à la Ferme Drapeau et Bélanger pour les chantiers d’irrigation.

L’anatomie du système d’irrigation

Le système d’irrigation des trois partenaires comprend les éléments suivants :

  • Une pompe stationnaire d’une puissance de 300 forces. « Elle est assez puissante pour qu’on puisse irriguer à 3,2 kilomètres de la fosse, indique Miguel Tousignant, un employé de la Ferme Drapeau et Bélanger. Toutefois, rendu à cette distance, il se peut que la pression ne soit plus assez élevée et qu’on doive relever la moitié de la rampe d’épandage. »
  • Une pompe d’appoint. Placée directement dans la fosse, elle alimente la pompe stationnaire. Sett précise : « Elle permet de s’assurer que la pompe stationnaire est toujours bien approvisionnée en lisier. En plus, comme elle se trouve à défaire le lisier, elle écarte le risque que la pompe stationnaire bouche à cause d’un motton. » Précisons qu’aucune fosse n’est brassée.
  • Un boyau primaire. Flexible, il a un diamètre de huit pouces. Une fois installé, on ne le déplace plus pendant l’irrigation du champ.
  • Un boyau secondaire. Son diamètre est de six pouces.
  • Une rampe d’épandage. Elle a une largeur de 80 pieds.
  • Des enrouleurs.
  • Un tasse-boyau. Monté sur un tracteur, cet outil ayant la forme d’une roue géante aide à déplacer le boyau secondaire dans le champ.
  • Un « éléphant ». C’est ainsi qu’on surnomme l’énorme réservoir mobile d’une capacité de 30 000 gallons. Les producteurs ne s’en servent pas au printemps, sa capacité étant insuffisante compte tenu du taux d’épandage de lisier, qui peut atteindre 2 100 gallons à la minute. « Juste pour fournir en lisier le système d’irrigation, il faudrait être six ou sept personnes », estime Dominic. Ils font plutôt usage de l’éléphant dans les prairies entre les coupes. « Les prairies peuvent être éloignées jusqu’à 12 kilomètres, explique ce dernier. On ne veut pas faire faire toute cette route à la citerne. Alors, on utilise des camions pour transporter le lisier jusqu’à l’éléphant, qui sert à remplir la citerne. » Le producteur voit aussi dans l’éléphant une assurance : « S’il nous arrivait d’être coincés en octobre parce qu’il ne fait pas beau et que les citernes labourent trop, on pourrait décider d’irriguer en se servant de la réserve. Ce serait moins efficace, mais au moins, on serait capables d’épandre. »
  • Des équipements de pression : les cadrans, le compresseur servant à vider les boyaux à la fi n de la tâche, etc.