Relève féminine et non apparentée : le double défi de Roxanne

Roxanne Beaulieu n’a pas grandi dans une ferme. Pourtant, à 28 ans, elle est l’unique propriétaire de la Ferme Roxy enr. située à Saint-Maurice. Rencontre avec «une fille de la ville» qui ne manque pas d’audace.

« Je viens de Québec. Des vaches, j’en avais juste vu à Expo-Québec », lance Roxanne. Mais comment a-t-elle bien pu en arriver à devenir productrice de lait? « C’est à cause d’une histoire d’amour. J’étudiais au cégep en sciences humaines, quand j’ai rencontré un gars qui travaillait dans une ferme la fin de semaine. Je me levais à 5 h pour y aller avec lui. Je ne touchais à rien, je faisais juste observer », raconte-t-elle. Roxanne a eu un gros coup de foudre pour les vaches. Tellement, qu’elle a décidé de poursuivre ses études à l’ITA de La Pocatière en production animale. Il fallait toutefois qu’elle annonce ce choix de carrière à son père. « Il voulait que j’aille à l’université, alors j’avais peur qu’il soit déçu. Je lui ai écrit un courriel en lui détaillant mon plan. Je lui ai dit de prendre le temps d’y penser et de me rappeler dans une semaine. Cinq secondes après avoir reçu mon courriel, il m’a appelé et m’a dit : Vas-y si c’est ça que tu veux faire », se remémore-t-elle.

Direction La Pocatière

Pendant ses études à l’ITA, Roxanne a travaillé à la Ferme Saindon et Fils de Saint-Alexandre-de-Kamouraska. Sa rencontre avec les propriétaires de l’entreprise, Clément et son fils Sébastien, a été l’événement le plus significatif dans son parcours. « C’est la plus belle expérience de ma vie. Ils ont tellement investi de temps pour me former. Ils m’ont encouragée et tout montré. C’est sûr que si je n’avais pas travaillé là, je n’aurais pas de ferme aujourd’hui », affirme-t-elle visiblement reconnaissante. Roxanne est restée en contact avec les deux agriculteurs. Elle poursuit : « Clément est un deuxième père pour moi. La première fois qu’il est venu voir ma ferme, il était ému de voir ce que la petite fille de la ville qui était débarquée chez lui devenait. » Roxanne a d’ailleurs aujourd’hui une vache en copropriété avec Sébastien et deux génisses avec Clément. « C’est moi, dit-elle, qui les ai à la ferme. C’est dire à quel point ils me font confiance. »

Roxanne a aussi fait un stage dans une ferme de plus grande taille pour acquérir d’autres expériences et découvrir des façons différentes de travailler. Elle précise : « Je voulais tester le plus d’équipements et de marques possible pour me faire une idée. Je trouve que c’est une faiblesse de toujours choisir les mêmes marques par habitude quand on achète de l’équipement. » Selon elle, ce stage lui a aussi permis d’être témoin de bons comme de moins bons coups : « Les erreurs vues en tant qu’employée sont des leçons gratuites en quelque sorte. Elles ne m’ont rien coûté. »

Diplôme en poche, elle a travaillé dans trois fermes, puis est devenue gérante de troupeau dans une entreprise du Centre-du-Québec. Elle explique : « Le propriétaire était dans les champs et moi à la ferme. Je voulais voir si je pouvais gérer des vaches toute seule. » Dans un monde idéal, Roxanne aurait aimé avoir sa ferme dès la fin de ses études, mais avec le recul, elle considère que c’est après avoir vécu toutes ses expériences professionnelles que le bon moment était venu. « À 20 ans, je n’étais pas prête, mais à 26 ans, oui », révèle la jeune femme.

L’achat de la ferme

Roxanne a acheté son entreprise en juillet 2019. L’occasion était exceptionnelle : le troupeau, le quota de 48,95 kg, les bâtiments, la maison, les tracteurs et 46 acres de terre étaient à vendre pour deux millions de dollars. Elle raconte : « Le lot n’était pas trop gros, c’était parfait pour mes moyens. Je ne pouvais pas me permettre d’acheter une ferme à huit millions. Après la visite avec mon père, on s’est dit tous les deux : C’est elle! » La ferme est située à Saint-Maurice, dans la région de la Mauricie, et comble de la chance, son père habite tout près.

Dès le départ, Roxanne s’est affairée à améliorer le confort des vaches et leur productivité, mais aussi son propre bien-être. « Je suis plus petite et moins forte qu’un homme. Les femmes n’aiment pas que je dise ça, mais c’est vrai », souligne-t-elle. Elle s’est notamment procuré un chariot à paille, un robot pour la distribution de la moulée et un repousse-fourrage. Un rail pour les trayeuses devrait s’ajouter à cette liste prochainement.

Elle poursuit : « Je trouvais les stalles petites, alors je me suis dit, on va rapetisser les vaches. » La jeune productrice a donc vendu les taures holsteins dans le but d’avoir éventuellement un troupeau composé uniquement de jerseys. « Les taures étaient attachées au départ, maintenant elles sont lousses », ajoute-t-elle. Le plus petit gabarit des jerseys facilite aussi le travail de Roxanne. L’entreprise qui était composée à 100 % de holsteins n’en compte désormais que 14 sur 40 vaches en lactation.

Dans les premiers mois suivant l’achat de l’entreprise, Roxanne travaillait 16 heures par jour. « Ils étaient deux ou trois personnes avant pour faire le train », dit-elle. Pour gagner du temps, elle s’est entourée d’une équipe en qui elle a grandement confiance. « Mon père et ses amis retraités viennent m’aider. Je les appelle, mon club de gériatrique », lance-t-elle. L’un d’entre eux tond la pelouse tandis qu’un autre s’occupe du nettoyage. « Ils font toute la différence! dit-elle. Ils me permettent de mettre mon temps à la bonne place. » Et sa place, c’est dans l’étable. Les champs, elle les fait cultiver et récolter à forfait. « Ça me prendrait beaucoup de machinerie, donc c’est beaucoup plus rentable pour moi de fonctionner de cette façon », raconte-t-elle. Roxanne s’estime aussi chanceuse de pouvoir compter sur un voisin en or, René. « Des fois, je l’appelle à 22 heures parce que j’ai une vache éjarrée. Il vient toujours m’aider », donne-t-elle comme exemple.

Quand on lui demande ce qu’elle aime le plus de sa profession, elle répond sans hésiter : « Donner des becs à mes vaches. » Roxanne se décrit d’ailleurs comme une passionnée des vaches. « J’aime les voir grandir et vêler, dit-elle. J’ai hâte d’avoir des vaches de 15 ans. J’aime aussi les garder propres. Quand elles ont un poil croche, je le vois. »

Aujourd’hui, Roxanne récolte le fruit de ses efforts et de son travail rigoureux. « J’ai réussi à augmenter la productivité de mes vaches tout en diminuant les coûts d’alimentation », précise-t-elle.

D’ici 5 à 7 ans, l’agricultrice a comme projet d’acheter un robot de traite et de passer de la stabulation entravée à la stabulation libre. Mais, comme tous les investissements réalisés à la ferme, ce sera un projet réfléchi. Elle affirme : « Je ne fais pas d’achat impulsif, tout achat doit se rentabiliser. La gestion des finances est une grande force dans ma famille. »

 

Roxanne affectionne particulièrement les jerseys. Elle souhaite un jour avoir un troupeau composé uniquement de cette race. Renée, qui apparaît sur la photo, est la chouchou de la productrice. « C’est une bonne et belle vache. C’est sûr qu’elle va prendre sa retraite ici et qu’elle va être enterrée à la ferme », dit la jeune femme.

Des hauts et des bas

On s’en doute bien, dans l’histoire de Roxanne, il n’y a pas que de beaux moments. « Le plus difficile, c’est la fatigue. Je suis toute seule dans l’étable. Quand je me lève à 2 heures du matin pour un vêlage, je fais quand même la traite ce jour-là », dit celle qui travaille en moyenne 70 heures par semaine. Elle apprend aussi à naviguer au milieu d’un monde rempli d’imprévus, comme dans le cas d’une vache soudainement malade. « Je voudrais que tout aille bien, dit Roxanne, mais je travaille avec du vivant, alors j’ai parfois peu de contrôle. »

Selon elle, être une femme représente également un défi supplémentaire. « Quand j’ai acheté la ferme, beaucoup de producteurs ne croyaient pas que j’aurais du succès avec mon entreprise. Ça prend un bon moral pour continuer. Mais maintenant, j’ai de meilleurs résultats que la majorité d’entre eux », lance-t-elle, avant d’ajouter : « Il y a aussi des réparateurs et des conseillers financiers qui me prennent pour une cruche. » Au fil du temps, ces expériences sont devenues des apprentissages. « Avant, j’étais fine avec tout le monde, maintenant, non », dit-elle.

Quels conseils donnerait-elle à quelqu’un qui veut suivre ses pas? « Faire à sa tête! Si on écoutait tout le monde qui nous dit qu’on ne sera pas capable, on n’irait pas loin », affirme Roxanne. Son deuxième conseil : être curieuse et poser des questions. « Si tu ne veux pas apprendre, ça ne fonctionnera pas », dit-elle. Elle poursuit en riant : « C’est comme quand le vétérinaire vient à la ferme. Il doit tellement être écœuré de m’entendre poser des questions. Mais je veux savoir! » C’est également important, selon elle, de travailler sur ses points faibles. « Moi, c’est l’équipement et la mécanique. En ce moment, dit-elle, j’apprends, j’observe et je m’améliore. »

Plus jeune, si on lui avait dit qu’elle deviendrait productrice de lait, l’aurait-elle cru? « Certainement pas! Et jamais on n’aurait pu croire que mes parents allaient passer leur retraite dans une ferme », dit-elle. Roxanne est fière de son parcours. « Je suis toute seule sur ma ferme, à 28 ans, et je ne viens pas du milieu. Je fais quelque chose que peu de gens sont capables de faire et je ne suis pas gênée de le dire », conclut-elle.