Tarissement sélectif : une mise à jour

Le tarissement sélectif consiste à déterminer quelles vaches à tarir méritent ou pas un traitement aux antibiotiques en infusion intramammaire. Les premières publications sur le sujet sont apparues au début des années 90. Qu’en est-il aujourd’hui?

La recommandation traditionnelle était le traitement dit « universel ». C’est-à-dire que toutes les vaches recevaient des antibiotiques en infusion intramammaire au moment du tarissement. Cette pratique n’était pas sans justification. En effet, les vaches infectées avec des bactéries intramammaires contagieuses (notamment le Streptococcus agalactiae) étaient nombreuses et le traitement universel était très efficace pour contrôler ces infections. D’ailleurs, la pratique s’étant répandue, on peut maintenant dire que les infections à Streptococcus agalactiae ont pratiquement disparu.

Le portrait est très différent aujourd’hui et plusieurs vaches se présentent au tarissement sans avoir une infection intramammaire. L’amélioration de la santé du pis combinée aux considérations d’utilisation judicieuse des antibiotiques a forcé une réflexion sur le caractère « universel » du traitement au tarissement. Plusieurs producteurs laitiers ont tenté l’expérience du tarissement sélectif avec l’aide de leur médecin vétérinaire. Pour certains, l’expérience fut positive et ils ne reviendraient pas en arrière alors que pour d’autres, les résultats ont été moins convaincants. Pourquoi alors? La plupart des échecs sont associés à un manque de rigueur dans le respect des critères de sélection. Ces critères ont été validés scientifiquement par des études contrôlées et sont listés dans les encadrés.

La santé de la glande mammaire à l’échelle du troupeau doit donc déjà être excellente avant d’introduire une stratégie de traitement sélectif au tarissement. Comme le traitement antibiotique au tarissement a pour but d’éliminer une infection présente, votre troupeau doit déjà compter peu de cas d’infections intramammaires, sinon il n’y aura pas beaucoup de « sélection » à faire.

Exemples de critères au sein du troupeau

  • CCS du réservoir < 250 000 c/mL en tout temps
  • Incidence de mammites cliniques faible (particulièrement en début de lactation)
  • Proportion de vaches infectées par un pathogène contagieux ou chronique dans le troupeau (<10 %)
  • Taux d’infections chroniques suite au tarissement faible* (< 5 %)
  • Taux de nouvelles infections intramammaires au tarissement faible** (< 10 %)
  • Tenue de dossier permettant un excellent suivi
  • Bonne technique d’infusion intramammaire lors de l’application du scellant interne

* % des vaches présentant un test > 200 000 c/mL moins de 50 jours avant le tarissement et un test >200 000 c/mL moins de 50 jours après le vêlage

** % des vaches présentant un test < 200 000 c/mL moins de 50 jours avant le tarissement et un test >200 000 c/mL moins de 50 jours après le vêlage

Si nous ne sommes pas stricts sur les critères de sélection des vaches à tarir sans antibiotique, nous risquons de ne pas traiter des candidates qui en bénéficieraient. Ce qui entraînera éventuellement une détérioration de leur santé mammaire tout en manquant l’objectif global d’utiliser les antibiotiques de façon judicieuse.

De plus, le traitement sélectif au tarissement ne consiste pas à arrêter toute utilisation d’antibiotique au tarissement. Même si votre troupeau répond aux critères de sélection, il y aura toujours des vaches qui ont besoin d’antibiotique intramammaire lors du tarissement. Il faut donc s’assurer de sélectionner les bonnes candidates.

Le protocole de tarissement sélectif d’un troupeau doit être appliqué avec rigueur et minutie. Le tarissement est une période critique du cycle de production et devrait être confié à du personnel qualifié et capable de bien exécuter cette tâche.

Et finalement, il ne faut pas être motivé uniquement par des considérations pécuniaires ou par l’intérêt de gagner du temps lors de l’intégration de ce concept de traitement. On risque de retomber dans la facilité et de vouloir recommencer à « traiter tout le monde » par simplicité.

Exemples de critères de sélection concernant la vache

Avec l’historique de l’animal

  • Bon état de santé
  • Pas de résultat > 200 000 c/mL au cours des 3 derniers mois
  • Pas de mammites cliniques au cours des trois derniers mois

Sans l’historique de l’animal

  • Bon état de santé
  • Culture de lait à la ferme ou en clinique
    • Inférieur à 5 colonies sur Petrifilm ou aucune colonie sur un Bi-plate/Tri-plate

Une bonne utilisation du scellant interne est essentielle

Avec ou sans infusion d’un antibiotique intramammaire, il est très important d’utiliser un scellant à trayon interne pour prévenir l’entrée de nouvelles bactéries pendant la période de tarissement (nouvelles infections intramammaires).

La recherche a d’ailleurs démontré que l’administration d’un scellant était aussi, voire plus efficace que celle d’un antibiotique pour la prévention de nouvelles infections pour les quartiers sains au moment de tarir.

Si l’on décide de ne pas mettre d’antibiotique dans le quartier d’une vache parce qu’il n’y a pas de preuve d’infection (historique des CCS ou culture de lait), il ne faut surtout pas en introduire lors de la mise du scellant. Il est crucial d’avoir une technique d’infusion intramammaire aseptique. Sinon, on travaille dans le vide.

Infuser un scellant à trayon de façon inappropriée chez une vache est l’une des raisons pour laquelle le tarissement sélectif n’a pas réussi dans certains élevages. Vous pouvez d’ailleurs consulter une fiche sur la technique d’administration d’un scellant à trayon sur le site reseaumammite.org.

L’évolution des critères de sélection

Récemment, deux études intéressantes ont été réalisées au Québec par des chercheurs de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. L’objectif de la première était de valider la culture bactériologique du lait du quartier pour sélectionner les animaux à exclure d’un traitement au tarissement. Dans 9 troupeaux laitiers du sud du Québec, dont le comptage des CCS a été sous les 250 000 c/mL pendant 12 mois, on a comparé le tarissement universel avec les résultats d’une culture bactériologique prétarissement. La cohorte de vaches a été suivie pendant le tarissement et une partie de la lactation suivante. Ces paramètres ont été étudiés : l’évolution des CCS dans la lactation suivante, l’incidence de mammites cliniques et la production de lait.

La deuxième recherche a utilisé les données des mêmes vaches afin d’étudier différentes stratégies pour l’identification des vaches/quartiers infectés au tarissement, comme l’utilisation du CCS, de la culture bactériologique ou la combinaison des deux. Cette deuxième étude conclut que l’utilisation du CCS comme seule stratégie de dépistage (sans culture bactériologique du lait) est une méthode efficace et sécuritaire pour la sélection des vaches à exclure du traitement antibiotique au tarissement. Elle suggère que le dernier résultat de CCS à lui seul est suffisant pour établir la liste des vaches qui recevront (ou pas) un antibiotique intramammaire (à condition que le test soit récent – moins de 50 jours).

On parle donc de pouvoir tarir une vache sans antibiotique si son dernier résultat de CCS est inférieur à 100 000 c/mL pour une primipare (L1) ou inférieur à 200 000 c/mL pour une multipare (L2+). À noter que le comptage de CCS du troupeau est de < 250 000 c/mL dans les 12 derniers mois. De plus, l’historique des mammites cliniques de la lactation passée dans le dossier de la vache ne semble pas avoir d’importance sur le choix des candidates. Ce critère était possiblement fortement associé au CCS pour les vaches qui ont contracté une infection récente. Évidemment, il serait malgré tout justifiable d’utiliser une infusion intramammaire au tarissement dans le cas d’une vache ayant un épisode de mammite clinique après le dernier test de CCS de sa lactation.

Cette dernière étude apporte un nouveau regard sur les critères de sélection de troupeaux et de vaches individuelles pour le tarissement sélectif.

La combinaison des tests de CCS et des cultures de lait

L’étude mentionne aussi que la réduction d’utilisation des antibiotiques pourrait être encore plus accentuée en combinant l’approche « CCS seulement » à une culture bactériologique. En effet, lorsqu’une vache présente un CCS > 200 000 c/mL, une culture bactériologique des 4 quartiers individuels permettrait d’identifier le ou les quartiers infectés. Avec cette information en main, vous pourriez n’utiliser des antibiotiques que dans les quartiers infectés.

Un protocole pour chaque ferme

Discutez avec votre médecin vétérinaire de la possibilité d’inclure une stratégie de traitement sélectif au tarissement dans votre gestion de troupeau. Il s’agit d’une belle occasion pour vous assurer que votre utilisation d’antibiotiques à la ferme est judicieuse et aussi de vous attarder à l’évaluation de la santé du pis. Les protocoles peuvent être adaptés pour mieux tenir compte de la réalité de chaque élevage.

Il est possible que votre troupeau ne réponde pas, pour le moment, aux critères pour faire du tarissement sélectif de façon sécuritaire et efficace. Néanmoins, il vous sera tout aussi profitable de vous asseoir avec votre médecin vétérinaire pour travailler à l’atteinte de vos objectifs, tarissement sélectif ou pas. Si la santé du pis est un défi dans votre élevage, il est d’autant plus important de vous y attarder.