Les vêlages de croisements laitier-boucherie sont-ils risqués?

Pour prévenir les vêlages difficiles, les producteurs de lait doivent s’intéresser à deux volets stratégiques de la reproduction du troupeau : la sélection du taureau de boucherie et de la vache et la gestion de la période du vêlage.

En 2022, 49,8 % des 153 493 veaux laitiers vendus dans le réseau des encans étaient des croisements avec une race de boucherie, alors qu’ils représentaient moins de 2 % des ventes en 2010. Le croisement avec la race angus est de loin le plus recherché par les acheteurs et c’est aussi le plus fréquemment utilisé par les producteurs laitiers.

D’une part, certains producteurs de bouvillons recrutent ces veaux croisés à bon prix pour les parcs d’engraissement d’Ontario et du Nord-Est des États-Unis. Leur couleur noire uniforme, la qualité des carcasses et le caractère acère de ces veaux justifent l’intérêt qu’ils suscitent pour cette industrie.

D’autre part, les producteurs laitiers privilégient ce croisement pour la facilité au vêlage et la valeur ajoutée. La prime atteint en moyenne 150 % du prix obtenu pour les veaux holsteins de même catégorie. De plus, cette stratégie de croisement couplée à l’utilisation de semence sexée a le potentiel de produire un plus grand nombre de génisses de remplacement provenant des meilleures vaches du troupeau. En complément d’une stratégie de dépistage des vaches infectées par Neospora, ces croisements sont aussi un moyen d’exclure les descendants des vaches affectées pour les besoins de remplacement du troupeau tout en valorisant leur veau.

À l’assemblée générale des Producteurs de bovins du Québec (AGAPBQ) de 2022, les éleveurs de veaux lourds ont toutefois souligné que la qualité de la viande des veaux croisés angus est un enjeu pour leur secteur. Le persillage important de ces carcasses est un caractère recherché par les producteurs de bouvillons d’engraissement pour améliorer la classifcation des carcasses. Ce caractère ne permet toutefois pas d’atteindre l’objectif de production d’une viande maigre des producteurs de veaux lourds. Le parage effectué à l’abattage pour retirer les dépôts de gras en excès constitue une perte estimée à 30 $ par carcasse. Les croisements avec des races de boucherie procurant un meilleur rendement en viande avec moins de dépôt de gras permettraient à l’industrie du veau lourd d’atteindre cet objectif et de justifer une prime plus élevée à l’achat. À cet effet, la race blanc bleu belge (BBB) présente un intérêt particulier pour ses producteurs, selon le rapport sur l’AGAPBQ publié dans La Terre de chez nous, édition du 6 avril 2022.

La préoccupation concernant le risque accru de diffculté au vêlage, occasionnant des pertes à court et à long terme pour les entreprises laitières, a toutefois été évoquée par certains producteurs et par leurs médecins vétérinaires. Voici ce que dit la science à propos des vêlages résultant de ces croisements et des meilleures stratégies pour bien gérer les risques appréhendés.

La sélection des géniteurs 

Au moment de l’insémination, la sélection du taureau et de la femelle est une décision importante pour la sécurité de la mère et du veau lors du vêlage. La grosseur attendue du veau est la première préoccupation qui vient à l’esprit. Le taureau utilisé et la durée de la gestation sont deux facteurs importants pour le poids des veaux à la naissance.

Le tableau 1 présente les performances de vêlage des vaches holsteins du Québec saillies avec cinq races de taureaux de boucherie pour les années 2018 et 2019. La catégorie « facile » regroupe les vêlages sans assistance et avec assistance légère, tandis que la catégorie « difficile » regroupe les interventions « extraction forcée » et « césarienne ».

On note que le nombre moyen de jours en gestation augmente de près d’une semaine pour les veaux croisés limousins par rapport aux veaux de race holstein sans impact notable toutefois sur le taux de survie des veaux et sur le taux de vêlages diffciles. Le taux de vêlages diffciles est cependant plus élevé (6,8 %) pour les veaux croisés BBB au cours de cette période par rapport aux autres croisements (≤4 %) sans néanmoins affecter de façon signifcative le taux de survie.

Serait-il possible de diminuer le risque de vêlages diffciles avec ce croisement par la sélection des taureaux? L’expérience européenne montre que certains taureaux présentent des caractéristiques favorables pour la facilité au vêlage lors de croisement sur la race holstein.

Le tableau 2 présente un index de trois informations utiles pour la régie de 10 croisements BBB sur holstein. La base de référence pour l’interprétation de ces index est 100. Une valeur inférieure indique une performance désirable pour diminuer le risque d’un vêlage diffcile. Une valeur supérieure à 100 indique, quant à elle, un croisement présentant un risque accru au vêlage.

La relation entre la durée de la gestation, le poids à la naissance et le risque d’un vêlage diffcile apparait clairement pour les taureaux 5 et 8. Les producteurs laitiers européens ont graduellement eu accès à ces index développés spécifquement sur des croisements laitiers/boucherie au cours des 10 dernières années.

Ces résultats démontrent l’importance de prêter une attention particulière à la sélection des taureaux de boucherie. Les écarts prévus des descendants (EPD) des taureaux disponibles au Canada et aux États-Unis donnent un indice de facilité au vêlage et de poids à la naissance. Ces EPD sont toutefois calculés avec les performances de chacune des races et leur validité lors de croisements avec d’autres races n’est pas établie. Ces informations pourraient vraisemblablement être utiles pour la sélection des croisements boucherie et laitier.

Dans le but d’aider à prévenir les vêlages diffciles, le Comité de mise en marché des bovins de réforme et des veaux laitiers a produit un guide de pratiques recommandées pour ces croisements. Les recommandations, en combinant les informations disponibles sur les taureaux et sur les vaches désignées, permettront aux producteurs laitiers à la fois de mieux gérer le risque de complications au vêlage et de maximiser la valeur des veaux croisés. Ce document peut être consulté sur le site web des PBQ et téléchargé à l’adresse :http://bovin.qc.ca/wp-content/uploads/2020/09/Guide-semence-deboucherie-FINAL_compressed.pdf.

La période du vêlage

La gestion de la période du vêlage comprend plusieurs points qui infuencent à la fois le risque de complication et la sécurité de la mère et du veau. Les données de Lactanet pour 2018 et 2019 (voir le tableau 1) montrent que 90 % à 95 % des vêlages ont eu lieu sans assistance ou avec une légère assistance. Les vêlages des croisements boucherie nécessitant un peu plus souvent d’assistance sans toutefois que le risque de mortalité à la naissance (±6 %) en soit affecté de façon signifcative.

Une régie de la période des vêlages devrait être planifée en consultation avec un médecin vétérinaire. La procédure établie doit inclure une aire de vêlage propre et sèche permettant d’isoler la vache en travail et d’offrir suffsamment d’espace pour lui permettre de se lever et de se coucher facilement. La surveillance des vêlages requiert une connaissance adéquate de son déroulement normal. Une revue détaillée des points à considérer pour une gestion optimale des vêlages peut être consultée à l’adresse suivante : http://lait.org/fichiers/Revue/PLQ-
2011-12/medecine.pdf.

L’utilisation des croisements laitier-boucherie est bénéfique pour l’industrie laitière. Elle augmente la rentabilité des vaches les moins productives des troupeaux laitiers et elle peut accélérer la valeur génétique des génisses de remplacement. Elle justife la mise en place des mesures de régie requises dès la naissance pour assurer la santé de ces veaux. Les producteurs de veaux lourds, en ayant accès à des veaux correspondant mieux à leurs objectifs d’élevage, peuvent offrir des prix compétitifs à l’achat tout en assurant la pérennité d’une industrie unique en Amérique du Nord.