La situation est particulièrement criante pour les traitements antibiotiques intramammaires liés à la mammite clinique ou sous-clinique. Il y a une vingtaine d’années, au moins 5 produits différents étaient disponibles sur le marché : Liquamast, Erythro-36, 17900 Formule Spéciale, Pirsue et Cefa-lak. Aujourd’hui, ils sont tous discontinués, sauf Cefa-lak, et 1 seul nouveau produit, Spectramast LC, est apparu. Les médecins vétérinaires et les producteurs laitiers ont donc seulement 2 options. Par contre, depuis l’entrée en vigueur du règlement sur l’utilisation des antimicrobiens de catégorie 1, c’est-à-dire de très haute importance en santé humaine, il est interdit d’utiliser le Spectramast LC sans démontrer que le Cefa-lak n’est pas adéquat pour le cas à traiter. Plusieurs se sentent démunis, voire frustrés par cette situation. Certains, au contraire, y voient une opportunité de changer les choses et de s’améliorer. Explorons un peu cette situation sous l’angle des occasions à saisir.
Les cas de mammite clinique ou sous-clinique nécessitent-ils tous un traitement antibiotique?
La réponse est clairement non. Moins de la moitié des cas bénéficie réellement d’un traitement antibiotique. En effet, lorsqu’un échantillon de lait d’un cas de mammite est soumis au laboratoire pour une culture bactériologique, dans 30 à 50 % des cas, aucun agent pathogène n’est isolé. Cela signifie que la vache a déjà éliminé l’agent ou que sa présence est difficile à déceler par les méthodes usuelles. Il n’est pas certain que le traitement antibiotique intramammaire soit utile dans ces cas. Par contre, il y a une réaction inflammatoire et celle-ci peut persister pour quelques jours, voire quelques semaines.
De plus, certains agents pathogènes rendent la mammite intraitable à l’aide d’antibiotiques (ex. : levures, algues). Pour d’autres agents pathogènes (ex. : Staphylococcus aureus, Trueperella pyogenes, Serratia, Mycoplasma, Listeria) où le traitement antibiotique est appliqué, on observe un très faible taux de guérison.
Selon les principes de l’usage judicieux des antibiotiques et pour limiter le développement de résistance aux antibiotiques, il n’est alors pas recommandé de tenter un traitement. Finalement, la mammite connait des taux de guérison spontanés très élevés, même sans traitement antibiotique, si elle est causée par un agent pathogène comme Corynebacterium, plusieurs staphylocoques autres que Staphylococcus aureus et Escherichia coli. L’ajout d’un traitement intramammaire antibiotique n’augmentera alors pas significativement les taux de guérison et est donc moins justifié. Si vous additionnez ensemble toutes ces raisons, la proportion de cas de mammite nécessitant un traitement peut être aussi faible que 25 % dans certains troupeaux.
Comment identifier les cas nécessitant ou non un traitement antibiotique?
La réponse à cette question est simple, la culture bactériologique du lait est essentielle et guidera l’approche à utiliser. Elle peut être réalisée à la ferme, en clinique vétérinaire ou dans un laboratoire spécialisé. Il est primordial de prendre l’habitude de prélever un échantillon de lait dès l’apparition des premiers signes de mammite et avant tout traitement antibiotique. Le médecin vétérinaire pourra ainsi vous indiquer la meilleure approche pour un cas, mais aussi dresser un portrait global des agents pathogènes présents dans votre troupeau, ce qui l’aidera à établir un protocole de traitement standardisé adapté à votre réalité.
En effet, le portrait des agents pathogènes présents peut varier grandement d’un troupeau à l’autre. Certains sont aux prises surtout avec des cas de Staphylococcus aureus, d’autres avec des cas de Streptococcus uberis et d’autres encore avec du Klebsiella ou du Escherichia coli ou un mélange de plusieurs agents pathogènes. Les méthodes de contrôle et de prévention ainsi que l’approche thérapeutique varieront grandement selon le mode de transmission des agents pathogènes impliqués (contagieux, environnemental ou mixte). La rapidité des analyses en laboratoire s’est grandement améliorée durant les dernières années. Dans la majorité des cas, 48 heures après l’arrivée au laboratoire les agents pathogènes impliqués sont identifiés et les résultats transmis au médecin vétérinaire. Cela permet d’attendre les résultats et les recommandations de votre médecin vétérinaire avant d’entreprendre un traitement antibiotique pour les cas de mammite sousclinique ou clinique légère à modérée (grade 1 ou 2). Dans le cas de mammite clinique sévère (grade 3), un traitement antibiotique systémique est recommandé dès que le diagnostic est posé sans attendre les résultats de la culture bactériologique du lait.
Peut-on agir en amont et diminuer le nombre de cas de mammite?
Assurément, et c’est la meilleure façon pour ne pas avoir besoin d’un traitement antibiotique. Plusieurs options s’offrent à vous pour prévenir les infections intramammaires et la mammite. Le plan du National Mastitis Council est un excellent point de départ. Il couvre tous les aspects importants à contrôler et est disponible en français sur le site du Réseau mammite à l’adresse suivante : reseaumammite.org. Les éléments principaux de ce plan de contrôle sont la pression d’infection, les méthodes et l’équipement de traite, la gestion des cas de mammite clinique, la période de tarissement et la biosécurité.
Diminuer la pression d’infection est de la plus haute importance. Les agents pathogènes entrent toujours par le bout du trayon dans la glande mammaire pour causer une mammite. Le maintien en tout temps d’un environnement propre et confortable par une bonne gestion de la litière, le nettoyage des allées et des stalles, l’application adéquate d’un bain de trayon après la traite et le contrôle des mouches permettent de diminuer la présence d’agents pathogènes sur les pattes et les trayons, limitant ainsi les risques d’infection intramammaire et de mammite subséquente. On dit qu’une bonne préparation pour la traite diminue d’environ 99 % la présence de bactéries sur la peau des trayons. Si une vache propre a 100 000 bactéries sur la peau avant la désinfection, il n’en restera que 1000 (soit 1 % de 100 000) après la désinfection. Par contre, si une vache plus ou moins propre a 10 000 000 bactéries sur la peau avant la désinfection, il lui en restera encore 100 000 après la désinfection, soit le même nombre que la vache propre avant toute désinfection.
Ceci illustre bien l’importance de maintenir les vaches le plus propre possible. On note souvent un équilibre très fragile entre la pression d’infection et l’immunité des vaches. Il est essentiel de diminuer la pression au maximum pour que l’immunité des vaches puisse faire son travail. Par ailleurs, il y a aussi des moyens d’améliorer l’immunité des animaux. Favoriser un environnement sans stress, maintenir une bonne ventilation et une température confortable est très important. Une alimentation bien équilibrée, adaptée à leur stade physiologique, comportant des quantités adéquates de vitamines et minéraux (particulièrement la vitamine E et le sélénium) et sans contamination excessive en toxines est également essentielle.
Finalement, plusieurs vaccins ciblant différents agents pathogènes (Escherichia coli, Staphylococcus aureus, Streptococcus uberis, Klebsiella) sont maintenant disponibles pour vous aider dans le contrôle de la mammite. Dans une récente étude, seulement 25 % des troupeaux québécois utilisaient un vaccin pour diminuer les impacts de la mammite causée par Escherichia coli. Certes, une plus grande proportion des troupeaux pourrait bénéficier de cette protection additionnelle. L’Association américaine des praticiens bovins (AABP) a d’ailleurs récemment publié un guide où une vaccination contre la mammite causée par Escherichia coli était recommandée pour tous les troupeaux laitiers étant donné le risque élevé de cette maladie. Cependant, il faut se rappeler que même le meilleur des vaccins ne sera pas efficace si les trayons d’une vache trempent dans un environnement fortement contaminé. Les scellants internes à trayon sont également un outil très efficace pour prévenir les nouvelles infections intramammaires durant le tarissement qui est sous-utilisé.
Moins de 50 % des troupeaux laitiers au Québec utilisent l’un ou l’autre des produits disponibles sur le marché. Pourtant, leur efficacité n’est plus à démontrer. Ils sont essentiels chez les producteurs qui pratiquent le tarissement sélectif, mais sont aussi très utiles pour ceux qui font un traitement antibiotique au tarissement universel. En résumé, les options thérapeutiques de la mammite sont limitées. Cependant, il est important de réaliser que ce n’est pas la majorité des cas de mammite qui nécessite un traitement antibiotique. Des méthodes de prévention existent, dont plusieurs sont sous utilisées, comme la vaccination ou l’utilisation de scellants lors du tarissement.
La diminution de la pression d’infection et l’amélioration de l’immunité des vaches sont des éléments prioritaires dans le contrôle de la mammite bovine. Certaines options de traitement ne sont plus disponibles, mais si nous dirigeons nos efforts sur la prévention, on peut
sortir gagnants de cette situation. À vous de saisir cette opportunité!