Mammite : Ce n’est pas toujours ce que l’on voit qui fait le plus mal

La mammite est la maladie qui préoccupe le plus les producteurs de lait. On pourrait donc s’attendre à ce que la fréquence et les impacts de la mammite, incluant les coûts engendrés, soient bien documentés et connus dans les troupeaux laitiers. Mais est-ce vraiment le cas?

Selon une étude récente portant sur l’analyse des plans de biosécurité de proAction, 40 % des producteurs classent la mammite comme la maladie la plus préoccupante pour leur entreprise et 75 % affirment qu’elle se situe dans le top 3. Ils jugent la mammite beaucoup plus inquiétante que Salmonella Dublin, la diarrhée des veaux et toutes les autres maladies infectieuses affectant les troupeaux laitiers. La plupart des producteurs laitiers peuvent décrire assez précisément les performances de leur troupeau quant à la reproduction (taux de gestation, succès à la saillie, moyenne de jours ouverts, etc.) ou de la production (annuelle ou journalière moyenne, kg de gras par vache, etc.). Cependant, lorsqu’on parle de santé mammaire, on se limite souvent à connaitre le comptage de cellules somatiques (CCS) du réservoir dans les dernières semaines.

L’incidence annuelle de mammite clinique (changement d’apparence du lait avec ou sans inflammation du quartier) est rarement connue avec précision alors que la prévalence de mammite subclinique (présence d’inflammation, mais sans signe visible à l’oeil nu comme lors d’un CCS augmenté) est la plupart du temps totalement inconnue. Sans ces données, il est impossible d’estimer adéquatement les pertes et les dépenses encourues annuellement en lien avec la mammite. Donc, malgré l’importance accordée à la mammite selon le sondage cité plus haut, la majorité des producteurs n’ont pas une idée précise des coûts liés à cette maladie dans leur troupeau.

Les coûts associés à la mammite sont multiples. Certains sont visibles par les factures, alors que d’autres passent inaperçus, car ils représentent des pertes de revenus plus ou moins tangibles. Le coût des médicaments utilisés pour traiter une mammite clinique ou des traitements au tarissement, les honoraires du médecin vétérinaire pour le traitement d’une mammite sévère, le salaire d’un employé qui s’occupe du traitement d’une vache affectée par une mammite clinique, l’analyse d’une culture bactériologique du lait ou l’usage du bain de trayon sont tous des exemples de coûts visibles reliés à la mammite.

Cependant, de nombreux coûts sont rarement comptabilisés et passent ainsi inaperçus. En effet, la diminution de la production de lait, la quantité de lait non commercialisable suite à un traitement antibiotique, le temps de travail du producteur pour les soins apportés à la vache affectée, la qualité réduite des composantes du lait ainsi que la réforme hâtive ou la mort d’une vache en raison d’une mammite sont souvent oubliés dans l’équation. Si on veut pousser l’analyse encore plus loin, on pourrait inclure les impacts potentiels de la mammite sur l’incidence d’autres maladies, sur les performances en reproduction ou sur la santé publique (ex. : bactéries causant des toxi-infections alimen-taires ou développement de résistance aux antibiotiques). On peut donc se demander : Quels sont les coûts réels de la mammite pour un troupeau laitier au Canada? Sont-ils plus importants pour la prévention de la mammite ou pour son traitement? Est-ce la mammite clinique ou subclinique qui est la plus coûteuse?

Une étude récente1 financée par les Producteurs de lait du Canada et Agriculture et agroalimentaire Canada s’est intéressée à estimer le coût de la mammite dans les troupeaux laitiers canadiens, car aucune n’avait documenté cette question depuis 30 ans au Canada. Un questionnaire a été envoyé à quelques centaines de producteurs répartis partout au pays. Un total de 145 d’entre eux a répondu, ce qui constitue un excellent taux de réponse, soit 39 %, pour ce type d’étude. Grâce aux réponses recueillies, les chercheurs ont pu analyser et répartir les coûts pour tous les aspects nommés plus haut. Les résultats ont été rapportés sur une base de 100 vaches par année afin de pouvoir comparer les fermes, peu importe leur nombre de vaches (voir le tableau 1).

Ces chiffres sont représentatifs des troupeaux moyens canadiens. Certaines mesures de prévention étaient bien adoptées (environ 95 %), comme le bain de trayon post-traite ou le traitement universel au tarissement, mais d’autres l’étaient moins (environ 75 %), comme le bain de trayon prétraite et le port de gants lors de la traite, ou beaucoup moins (environ 35 %), telle la vaccination contre la mammite. Le recours aux services du médecin vétérinaire comme conseiller en santé du pis était plutôt faible : seulement 24 % des producteurs ont affirmé avoir demandé conseil à leur médecin vétérinaire au sujet de la santé mammaire et seulement 1 % des cas de mammite clinique avait été vu par un médecin vétérinaire.

Finalement, les 2/3 des producteurs avaient prélevé au moins une culture de lait d’un cas de mammite clinique ou subclinique dans la dernière année. La figure 1 illustre les principaux liés à la mammite clinique et subclinique pour le troupeau médian, selon l’étude sur les coûts de la mammite au Canada. Les coûts de la mammite présentés ci-haut sont des coûts totaux dont une partie est sans doute impossible à récupérer. Il est alors intéressant, d’un point de vue pratique, de regarder de plus près la portion que l’on pourrait qualifier de récupérable. Si l’on compare les troupeaux qui performent le mieux (25e percentile) vs ceux qui performent le moins bien (75e percentile), on peut établir un ordre de grandeur des coûts récupérables. Ainsi, pour la mammite clinique, environ 20 000 $ seraient récupérables entre un troupeau qui se situe au 75e percentile et un troupeau qui se situe au 25e percentile.

Pour la mammite sous-clinique, cela représente environ 22 000 $. Au total, c’est plus de 42 000 $ qui sont récupérables! La portion dédiée à la prévention quant à elle ne varie que de 5 000 $ en moyenne entre ces 2 troupeaux. On peut supposer qu’en investissant un montant relativement faible en prévention pour la mammite, le potentiel de retour sur l’investissement est très important (ratio de 1 pour 8 dans notre exemple). Pour diminuer les pertes associées à la mammite, il faut aussi prendre en compte la mammite subclinique et non seulement la mammite clinique. Discutez-en avec votre médecin vétérinaire qui pourra vous proposer un plan d’action pour mesurer l’importance de la mammite subclinique dans votre troupeau et proposer des éléments pour en diminuer les impacts.

Ce plan peut inclure l’utilisation routinière des CCS individuels ou des données du système de traite pour pouvoir déceler rapidement les nou-veaux cas de mammite subclinique. Également, le recours aux cultures de lait permettra d’identifi er les agents pathogènes présents dans le troupeau. Finalement, une analyse des facteurs de risques associés (ex. : méthodes de traite, gestion de la litière, santé des bouts de trayons, propreté des animaux et de l’environnement, etc.) pourra être effectuée pour appliquer des mesures de contrôle appropriées.

La clé demeure la prévention des nouvelles infections. Il y a d’ailleurs encore place à l’amélioration dans ce domaine, puisque certaines mesures efficaces ne sont pas encore appliquées par tous les producteurs. La prévention ne représente que 15 % des dépenses des entreprises actuellement. Prévenir est mieux que guérir!

1 Aghamohammadi, M. et al. (2018). Herd-Level Mastitis-Associated Costs on Canadian Dairy Farms. Frontiers in Veterinary Science, vol. 5, article 100.

Que doit-on retenir de cette étude?

  1. La mammite clinique coûte en moyenne 13 000 $/an, mais le coût peut atteindre 95 000 $.
  2. Le coût moyen d’un cas de mammite clinique est de 744 $ (varie de 50 $ à 5 400 $).
  3. La mammite subclinique coûte en moyenne 34 000 $/an et le coût peut atteindre jusqu’à 98 000 $.
  4. Les coûts reliés à la prévention sont en moyenne de 10 000 $/an et peuvent atteindre jusqu’à 25 000 $.
  5. Les coûts totaux sont en moyenne de 66 000 $ (varient de 17 000 $ à 183 000 $).
  6. Les coûts reliés à la prévention ne représentent que 15 % des coûts associés à la mammite, en moyenne.
  7. Les coûts reliés à la mammite clinique, 19 889 $, sont inférieurs aux coûts reliés à la mammite subclinique, 24 859 $.
  8. Le principal coût relié à la mammite subclinique est la réduction de la production de lait (72 %).
  9. Les coûts reliés aux honoraires vétérinaires, aux médicaments et au diagnostic représentent en moyenne moins de 2 % des coûts liés à la mammite.
  10. À l’échelle du Canada, ces pertes représentent un total de 640 millions de dollars annuellement pour l’ensemble des producteurs laitiers.