Bien réussir le tarissement

« La vache tarie, c’est l’investissement ultime. »

Vous avez peut-être déjà vécu une expérience semblable : une de vos meilleures productrices, une vache à 18 000 kilos, donne encore 35 kilos de lait par jour alors qu’elle approche du tarissement. Vous savez par expérience qu’elle sera difficile à tarir et qu’il y a un risque réel que le tarissement entraîne une infection dans un quartier. Y a-t-il UNE façon idéale de tarir une vache? Sans doute pas. Mais selon le Dr Simon Dufour, de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, il existe certains principes qui peuvent guider le producteur dans le choix d’une méthode de tarissement.

Faire un tarissement sélectif ou pas?

Le tarissement sélectif est cette approche qui consiste à donner un antibiotique au tarissement uniquement aux vaches déjà atteintes d’une infection et de plutôt utiliser un scellant à trayon pour les autres. Plus de la moitié des troupeaux québécois ont adopté cette approche, selon le Dr Dufour. Le vétérinaire s’en fait d’ailleurs le promoteur. Mais seulement sous certaines conditions. « La situation sanitaire est très variable d’un troupeau à l’autre, explique-t-il. S’il s’agit d’un troupeau où la situation n’est pas encore bien contrôlée, ce n’est pas approprié de faire un tarissement sélectif. Par contre, il se peut que le producteur ait un bon contrôle de la situation sanitaire, comme c’est le cas de la majorité. Les conditions sanitaires se sont améliorées dans nos troupeaux au cours des dernières décennies. On a de moins en moins de vaches qui arrivent au tarissement déjà infectées. Si un producteur se met à rechercher les vaches infectées, il pourrait constater, par exemple, qu’elles représentent seulement 10 % de l’ensemble de son troupeau. Ça devient intéressant de dire : je vais faire du tarissement sélectif parce que cela évitera 90 % des traitements. Le vétérinaire sera normalement impliqué dès le départ et il aidera le producteur à déterminer l’approche appropriée. »

« Il y a des données disponibles sur la ferme qui peuvent aider à identifier les animaux infectés, poursuit-il. Par exemple, le comptage de cellules somatiques. Des études récentes démontrent que juste en examinant le dernier contrôle avant le tarissement, on pourrait dire : toutes les vaches qui sont sous le seuil, disons de 200 000, on assume qu’elles ne sont pas infectées et on se limite à leur mettre un scellant. Alors que les sujets qui ont un comptage élevé, on décide de les traiter avec un antibiotique. Par ailleurs, on peut faire une culture de lait pour identifier la bactérie et savoir ainsi si l’infection peut se traiter ou pas. »

Un pic d’infections au tarissement

Chose certaine, on a raison de se méfier des infections au tarissement. Car durant le cycle de production d’une vache, il y a deux étapes où les risques d’infection augmentent radicalement : au tarissement et autour de la mise bas. « Durant la lactation, le risque d’infection d’une vache est très bas, tout comme au milieu du tarissement », précise le Dr Dufour. Le vétérinaire dit qu’il ne faut pas s’étonner que le risque d’infection soit élevé au tarissement. « Quand on fait la traite, on désinfecte les trayons deux fois ou trois fois par jour dépendamment du nombre de traites, souligne-t-il. Certains producteurs font même une désinfection avant et après la traite. Autre élément : si des bactéries sont entrées dans le pis par le canal du trayon durant la journée et qu’on vide le pis deux ou trois fois par jour, on enlève les bactéries. Ça leur laisse moins de possibilités de coloniser la glande mammaire et de créer une infection persistante. »

« Quand on y songe, ajoute-t-il, le lait qui demeure dans le pis en début de tarissement constitue un excellent milieu de culture pour faire pousser des bactéries. Pensez à ce qui adviendrait d’un yogourt qu’on laisserait à la température de la pièce. »

Combiner deux méthodes

Si on revient à notre forte productrice qui donne encore 35 kilos de lait par jour… Le Dr Dufour recommande de se donner comme objectif de ramener sa production sous les 20 à 25 kilos avant de la tarir. La recherche démontrerait que les risques d’infection au tarissement augmentent significativement lorsque la production dépasse ce niveau.

Le vétérinaire rappelle qu’il existe deux moyens de réduire la production de lait d’une vache. Dans les deux cas, il conseille de s’y prendre deux semaines à l’avance. Un moyen consiste à abaisser l’énergie dans la ration, et l’autre, à réduire la fréquence de traite. « Si l’on combine les deux manières, c’est là qu’on obtient la plus grande réduction de production, indique-t-il. C’est ce que démontre une étude qu’on vient de réaliser et qui portait sur des vaches traites au robot. On a un groupe de vaches où l’on a diminué la quantité de concentrés distribués au robot. Cela avait un double effet : la vache consommait moins d’énergie et en plus, elle tendait à se désintéresser un peu du robot. Pour un deuxième groupe, on a programmé les robots pour qu’ils acceptent les vaches deux fois par jour au maximum. Enfin, on a
un troisième groupe pour lequel on a combiné les deux méthodes. C’est avec le troisième groupe qu’on a eu le plus d’impact. Avec ce genre de protocole, on est capables de faire passer les vaches sous la barre des 20 à 25 kilos de lait par jour. »

Certains spécialistes sont d’avis qu’il faut cesser la traite abruptement, ce avec quoi le Dr Dufour est en désaccord, estimant que l’efficacité de cette approche n’a pas été démontrée. « Par contre, ce que je peux vous dire de façon sûre, insiste-t-il, c’est que du point de vue du bien-être animal, c’est mauvais. Si la vache produit encore beaucoup de lait, il y aura un engorgement du pis, et des signes d’inconfort sont souvent observés. »

Mettre un scellant, une des meilleures pratiques

Les scellants à trayon ont fait leur apparition au début des années 2000. Pour le Dr Dufour, ils constituent un outil très efficace pour prévenir de nouvelles infections. « Ils sont beaucoup plus efficaces pour bloquer l’entrée de bactéries que si on met un antibiotique qui contrôlera peut-être – ou peut-être pas – les bactéries, dit-il. Et c’est beaucoup plus simple. » Il y a toutefois une condition de base au succès de cette méthode : bien désinfecter avant d’infuser le scellant. « Ça demande quelqu’un de minutieux, insiste-t-il. On ne veut surtout pas introduire des bactéries en allant sceller le trayon. Donc, on fait un bon nettoyage préalable et on applique un tampon d’alcool sur le bout du trayon, le tout en portant des gants » (voir l’encadré : Scellant à trayon et robot de traite).

Scellant à trayon et robot de traite sont compatibles

« Il y a une fausse croyance, explique le Dr Dufour, selon laquelle mettre du scellant à trayon sur une vache traite au robot va causer un problème ou même endommager le robot. Normalement, on retire le scellant à la mise bas simplement par une traite à la main. Après trois ou quatre jours, il y aura parfois encore des petits grumeaux de scellants qui vont sortir. Les scellants sont apparus sur le marché à peu près en même temps que les robots de traite. Quand le robot fonctionnait mal, le technicien était porté à en imputer la responsabilité au scellant. Cette croyance est malheureusement restée un peu imprégnée dans la communauté agricole. Or, actuellement, il y a beaucoup de producteurs qui ont des robots de traite, qui utilisent un scellant à trayon et qui ne rencontrent aucun problème particulier. Il faut se rappeler que pendant les trois ou quatre premiers jours de la lactation, la vache n’est généralement pas amenée au robot. Elle est traite à la main. Si après ce délai il reste des résidus de scellant dans le lait, ils sont souvent microscopiques et ne soulèvent pas de problème. Ils ne passent généralement pas non plus dans le lait du réservoir, puisqu’ils sont retenus par les filtres. »

Pour qui voudrait s’assurer de bien maîtriser l’administration des infusions au moment du tarissement, le vétérinaire signale que des fiches techniques sont disponibles sur le site web du Réseau Mammite (reseaumammite.org). En ce qui concerne les vaches qui devront recevoir un antibiotique au tarissement parce qu’elles sont déjà infectées à ce moment-là, le Dr Dufour souligne l’utilité des tests diagnostiques avant de procéder. « Les antibiotiques qu’on peut utiliser au tarissement sont efficaces contre certains types spécifiques de bactéries, explique-t-il. Une culture permettra éventuellement d’identifier une bactérie contre laquelle on n’a pas d’antibiotique efficace. Il est possible également qu’on soit aux prises avec une bactérie qui est sensible à l’antibiotique, mais qui est très chronique, et donc très difficile à traiter. C’est le cas par exemple de Staphylococcus aureus. Le vétérinaire aidera le producteur à déterminer ce qui peut se traiter et ce qu’il vaut mieux ne pas s’acharner à traiter. »

Soulignons que certains producteurs font les tests diagnostiques à la ferme alors que d’autres les font faire par leur clinique vétérinaire (voir l’encadré : Un minilabo à la ferme). Certaines infections disparaissent d’elles-mêmes. « Le système immunitaire de la vache, c’est un tank, illustre le Dr Dufour, il est très efficace! Il y a beaucoup d’infections dont la vache se débarrasse sans qu’on fasse quoi que ce soit. »

Un producteur a toutefois raison de se montrer prudent. On sait que dans les cas d’infection les plus graves, la vie de l’animal peut être en jeu. « Il y a parfois des types d’infections très sévères qui sont d’ailleurs souvent acquis durant le tarissement, note le vétérinaire. On peut penser au E.Coli ou au klebsiella. »

Toutefois, le cas potentiellement le plus grave au plan fi nancier, c’est selon lui la vache qui s’infecte sans qu’il y ait de signe visible. « Les bactéries endommagent les tissus du quartier à un niveau subclinique, décrit-il. Celui-ci va perdre 10 ou peut-être 15 % de sa capacité de production pendant les cinq prochaines années. C’est insidieux! »

Le Dr Dufour se réjouit des progrès accomplis ces dernières années dans les soins consacrés aux taries. « Dans le passé, c’était souvent négligé, se rappelle-t-il. On concentrait son attention sur les vaches en production. On comprend maintenant que le tarissement est une période critique. La vache tarie, c’est l’investissement ultime. C’est l’animal qu’on a inséminé, pour lequel on a tout fait, et là, il va commencer à payer en donnant du lait. Si on perd la vache en début de lactation, on vient de perdre cet investissement. »

Un minilabo à la ferme

Il existe des tests diagnostiques que le producteur peut se procurer. Il se présente sous la forme d’un gel déshydraté dans une enveloppe. On ajoute un peu de lait dilué dans de l’eau stérile. Pour réaliser ensuite l’incubation de la préparation, on peut se servir d’un incubateur à oeuf du type qu’on peut trouver à la quincaillerie. On ressort la préparation au bout de 24 à 48 heures. S’il n’y a aucun point (représentant les colonies de bactéries) à la surface, cela signifie qu’il n’y avait pas de bactéries dans le lait ou qu’elles étaient en concentration très faible. Donc, il s’agit d’une vache pouvant être tarie sans antibiotique. Il existe un autre type de préparation plus spécifique qui, en plus de révéler s’il y a présence de bactéries, peut indiquer si ces bactéries appartiennent au groupe pour lequel les pénicillines sont efficaces. « J’encourage les producteurs à le faire. Ça prend quelqu’un de minutieux. Ça prend aussi un endroit propre. Et pour devenir habile avec ce genre de protocole, il faut pouvoir en faire régulièrement afin de garder la main. Ça doit devenir une routine » (S. Dufour).