Antibiogouvernance : un équilibre entre la santé, la rentabilité et la durabilité

L’antibiogouvernance favorise le maintien et l’amélioration de la santé des animaux tout en préservant la rentabilité des fermes.

La gestion des antibiotiques constitue un pilier essentiel des pratiques agricoles responsables et durables. Cependant, pour de nombreux producteurs laitiers, l’intégration de cette gestion peut se révéler compliquée, s’ajoutant à la paperasse déjà imposée. Ces tâches peuvent être perçues comme fastidieuses et contraignantes. Par ailleurs, il est crucial de souligner que les retombées positives associées à la réduction de l’utilisation des antibiotiques ne se manifestent pas immédiatement, mais plutôt à long terme. Cependant, il demeure primordial de poursuivre ces efforts, car une utilisation inappropriée des antibiotiques peut engendrer des conséquences négatives significatives sur la santé publique et animale.

Une utilisation inappropriée des antibiotiques entraine des dépenses inutiles liées aux coûts de traitement et des pertes de lait en raison du respect des périodes de retrait. De plus, un risque accru de contamination du lait par des résidus d’antibiotiques est inhérent à leur utilisation. Une utilisation excessive d’antibiotiques peut également contribuer à l’émergence de souches bactériennes résistantes, ce qui compromet l’efficacité des traitements médicaux.

La résistance aux antibiotiques expliquée

Les vaches laitières, tout comme les humains et la plupart des organismes vivants, hébergent une variété d’espèces bactériennes et d’autres micro-organismes qui pour la plupart cohabitent de manière harmonieuse. Lorsqu’un antibiotique est administré, les bactéries sensibles peuvent être éliminées, favorisant ainsi les populations de bactéries résistantes. Cette situation peut rendre l’antibiotique inefficace pour des traitements ultérieurs, augmentant ainsi le risque de persistance des infections chez l’animal traité et de propagation à d’autres animaux du troupeau ou à l’humain.

Fondamentalement, la résistance aux antibiotiques peut s’apparenter à une forme de sélection génétique appliquée aux bactéries. Tout comme nous utilisons la sélection pour améliorer la production laitière des vaches en favorisant la descendance des mères et des pères à fort potentiel de production, le même processus se produit pour les bactéries. En utilisant davantage d’antibiotiques, nous sélectionnons plus de bactéries résistantes, perpétuant ainsi un cycle jusqu’à ce que les antibiotiques disponibles ne soient plus efficaces.

Cependant, en limitant l’utilisation des antibiotiques, nous pouvons briser, voire inverser ce cycle, permettant aux populations bactériennes de retrouver leur diversité originale. Il convient de noter que la restauration d’une population bactérienne plus diversifiée et moins résistante après des années d’utilisation d’antibiotiques n’est pas instantanée, mais elle peut être observée quelques mois ou années après l’arrêt de l’utilisation d’un médicament spécifique (voir figure ci-dessous).

L’antibiogouvernance est-elle la solution?

Trois piliers sont essentiels au concept de l’antibiogouvernance :

  1. Prévenir des maladies
  2. Identifier pour quel animal et dans
    quelle condition un antibiotique est
    nécessaire
  3. Choisir l’antibiotique approprié, le
    bon dosage, la bonne voie d’administration
    et la bonne durée de
    traitement

L’antibiogouvernance repose donc principalement sur des mesures préventives telles que la vaccination, la gestion du colostrum, la réduction du stress chez les bovins, le maintien de l’hygiène des installations et des animaux ainsi que l’optimisation des procédures de traite. Comme le dicton nous le rappelle, mieux vaut prévenir que guérir, soulignant ainsi que la prévention des maladies est souvent plus économique que leur traitement ultérieur.

Cependant, il peut arriver qu’un animal tombe malade. Dans de telles situations, il est primordial de déterminer si l’administration d’un antibiotique est nécessaire. Il convient de noter que dans les exploitations laitières, de nombreuses maladies, comme les ulcères de la sole et l’acétonémie, ne sont pas d’origine bactérienne et ne requièrent donc pas nécessairement un traitement antibiotique. De plus, de nombreuses affections sont causées par des virus ou des parasites, contre lesquels les antibiotiques sont inefficaces. Pour plusieurs de ces maladies, le maintien de l’hydratation de l’animal, l’utilisation d’un anti-inflammatoire et divers autres traitements non antibiotiques auront un impact plus important qu’un antibiotique (voir figure ci-dessous).

Enfin, même dans les cas où une maladie bactérienne est suspectée, il est essentiel de considérer la disponibilité et l’efficacité des antibiotiques appropriés. Par exemple, chez une vache présentant une infection intramammaire à Staphylococcus aureus chronique, les chances de guérison avec un traitement antibiotique peuvent être extrêmement faibles. Dans de telles circonstances, l’utilisation d’un antibiotique peut être jugée non seulement inefficace, mais aussi économiquement inappropriée.

Faire les bons choix

Lorsque nécessaire pour l’animal malade, il est crucial de choisir l’antibiotique approprié, le bon dosage, la bonne voie d’administration et la bonne durée de traitement. Le médecin vétérinaire est certainement la meilleure source d’information concernant ces choix. Voici quelques recommandations :

  • Ne pas tenir compte uniquement des intérêts de la ferme lors du choix d’un antibiotique. Santé Canada recommande de limiter l’utilisation de certains antibiotiques chez les animaux s’ils sont indispensables au traitement d’infections graves chez l’humain. Lors du choix de l’antibiotique qui sera utilisé dans l’exploitation, il est important de prendre en compte les implications sociétales plus larges que le simple résultat attendu pour l’animal traité.
  • Respecter la durée du traitement recommandée. À titre d’exemple, il est bien connu que les signes d’une mammite clinique sont généralement visibles pendant deux à cinq jours, qu’elle soit traitée ou non. La plupart des traitements contre la mammite clinique sont conçus pour être administrés sur une période de 24 à 48 heures. Mais comme les signes cliniques sont souvent encore visibles à la fin du traitement, il est tentant de prolonger sa durée. Toutefois, cette pratique n’améliore pas nécessairement le taux de guérison.
  • Administrer une dose appropriée d’antibiotique par voie orale, intraveineuse, intramusculaire ou sous-cutanée selon le poids de la vache ou du veau. Les antibiotiques conçus pour ces voies d’administration nécessitent généralement une certaine quantité d’antibiotique qui varie en fonction du poids de l’animal. Dans une même exploitation laitière, il n’est pas rare d’avoir une petite vache de 600 kilos et une « grosse » vache de 750 kilos. Dans ce cas, la dose d’antibiotique intraveineux nécessaire pour la vache de 750 kilos sera nettement plus élevée que la dose du même antibiotique nécessaire pour la vache plus petite. Ainsi, l’utilisation d’une dose uniforme peut entrainer un sous- ou un surdosage. Ce qui, dans ce dernier cas, peut engendrer des coûts inutiles pour le médicament supplémentaire administré à la vache plus petite, un risque accru de résidus d’antibiotiques dans le lait et un risque accru de promotion de la résistance aux antibiotiques.

L’antibiogouvernance ne correspond pas à ignorer les animaux malades ou à compromettre les bénéfices de l’exploitation. En réalité, une utilisation prudente des antibiotiques peut favoriser le maintien et l’amélioration de la santé des animaux tout en préservant la rentabilité des exploitations. Il est crucial de ne pas considérer cette pratique comme une tâche supplémentaire pour les producteurs laitiers, mais plutôt comme un élément essentiel visant à assurer la santé et la durabilité de leurs activités. Adopter une gestion adéquate des antibiotiques ne profite pas uniquement aux exploitations individuelles, mais contribue également au bien-être global de l’industrie laitière et de la société dans son ensemble.