Réduire les émissions de méthane par la génétique

Les émissions de méthane entérique d’un bovin dépendent en partie de sa génétique. S’ajoutant aux cotes de production, de fonctionnalité et de conformation, un nouvel indice vient indiquer l’efficacité de l’animal en matière de méthane.

Une étape importante vient d’être franchie en ce qui a trait aux émissions de gaz à effet de serre des fermes laitières. Il est maintenant possible de coter le potentiel génétique des bovins laitiers pour leurs émissions de méthane entérique, tout comme on les cote déjà pour des caractères de production, de fonctionnalité et de conformation. 19 à 24 % des émissionsde métha ne entérique d’un bovin sont déterminées par sa génétique.

Ce sont Semex et Lactanet qui ont développé cet « indice méthane ». Celui-ci est actuellement disponible pour les taureaux holsteins et les femelles testées par Semex. L’indice varie de 80 à 120 selon le sujet, l’indice moyen étant de 100. Un indice supérieur à 100 indique donc que le taureau est améliorateur.

Il vaut la peine de signaler que Semex et Lactanet sont les premiers au monde à produire un indice méthane. Cela leur a d’ailleurs valu un prix d’innovation en octobre dernier de la Fédération internationale du lait. Un seul chiffre suffit pour comprendre l’importance de ce développement technologique. Dans le cadre du projet Agriclimat, on a constaté que la fermentation entérique représentait à elle seule  44 % des émissions de GES des 12 fermes étudiées. C’est beaucoup plus que les émissions provenant des sols (22 %) ou de la gestion des fumiers (16 %).

Imaginez alors l’impact sur le bilan carbone des exploitations si l’on parvenait à réduire de façon signifi cative les émissions de méthane provenant de la fermentation entérique. Les spécialistes de Semex l’ont évalué. « Si l’on sélectionne d’ici 2050 avec des taureaux qui ont un indice moyen supérieur à 105, on prévoit obtenir une réduction des émissions entériques de 20 %, indique Pier-Olivier Lehoux, conseiller stratégique au CIAQ. Avec un indice moyen de 110 ou plus, on aura une diminution de 30 %. »

Les réflexions d’un producteur

Cet indice méthane, certains producteurs l’attendaient avec impatience. « Pour l’avenir de la production laitière, c’est vraiment un outil important qu’on espérait avoir et qu’on a enfin!, lance Alphonse Pittet, propriétaire avec son épouse, Claire Desaulniers et leur fils Jérémie de la Ferme Pittet inc. Comme Canadiens, on peut être fiers. Sans oublier que Semex appartient aux producteurs d’ici. »

Située à Saint-Tite, en Mauricie, la Ferme Pittet détient un quota de 484 kilos et comprend un troupeau de 330 vaches holsteins, dont 280 à la traite. Son plan d’accouplement repose sur l’utilisation exclusive de taureaux génotypés. Tous ses propres sujets sont également génotypés. Ces producteurs utilisent cinq ou six taureaux différents par période de quatre mois (les périodes coïncident avec la sortie des épreuves de taureaux de Lactanet).

Selon la stratégie d’amélioration génétique élaborée par ces producteurs avec leurs conseillers, ce sont les kilos de gras qui constituent le caractère le plus important. Ensuite viennent les caractères de santé, comme la fertilité ou les cellules somatiques. « On fait appel à Immunity+, précise Alphonse. En théorie, cela engendre des veaux plus résistants aux maladies, les génisses devraient donner un colostrum plus riche et répondre mieux aux vaccins. » Enfin, ces producteurs considèrent certains caractères de conformation, dont les pieds  et membres, le système mammaire et la capacité.

Alphonse Pittet souligne que pour l’instant, l’indice méthane n’entre pas en ligne de compte. « Il n’est pas encore dans les priorités de notre plan d’accouplement, dit-il. C’est tellement nouveau que le sujet n’est pas rentré dans les discussions avec nos conseillers génétiques. On veut d’abord s’asseoir, s’assurer de bien le comprendre et décider ensuite avec nos conseillers quand on va l’introduire dans notre plan. »

« Mais on croit à l’indice méthane, s’empresse-t-il d’ajouter. J’ai l’impression que d’ici 6 à 12 mois, on va l’introduire dans not re programme. Il fera partie du groupe de caractères qu’on retient. »

Sans doute que bon nombre de producteurs se reconnaîtront dans l’attitude des propriétaires de la Ferme Pittet. Alphonse décrit ses partenaires et lui comme « moyennement sensibles » à la question environnementale. « Comparativement à certains collègues, on ne peut pas dire que nous mes des précurseurs, lance-t-il. On aurait de la difficulté à vous citer un geste ou une action qui serait très en avance par rapport à la moyenne. On respecte les règlements, évidemment, mais c’est rare qu’on aille au-delà de ce qu’exigent les règlements. »

Néanmoins, ils suivent de près tout ce qui touche aux émissions agricoles de gaz à effet de serre. D’ailleurs, ils ont adhéré dès le départ au projet Agriclimat. De plus, leur entreprise a été ferme pilote pour le programme Ferme durable d’Agropur. « Le discours écologique nous interpelle, dit le producteur. L’annonce de l’objectif de carboneutralité en 2050 a constitué un choc pour nous. On doit faire un apprentissage très rapidement et on réfléchit aux meilleures pistes pour améliorer notre bilan carbone. »

Par ailleurs, Alphonse Pittet se montre confiant que l’ensemble des producteurs québécois feront progresser significativement la question de l’indice méthane global. « Je me souviens il y a quelques décennies, quand on avait des holsteins qui faisaient 3,8 ou 3,9 % de gras, on était satisfaits, dit-il pour faire un parallèle. Nos livraisons de lait ont été en bas de 4 % pendant longtemps. Quand c’est devenu la composante la mieux payée, on a mis un accent sérieux là-dessus. En septembre dernier, les livraisons moyennes étaient à 4,2117 % de matières grasses. Aujourd’hui, il y a certains mois où les livraisons de lait dépassent 4,15 % de gras en moyenne au Québec. »

À l’étape de la vulgarisation

L’attitude des propriétaires de la Ferme Pittet n’étonne pas Pier-Olivier Lehoux. « Je perçois un intérêt pour l’indice méthane au Québec, en particulier parmi la jeune génération de producteurs, dit-il. L’indice apparaît sur toutes les fiches de taureau génotypé et ça pique la curiosité des gens. Mais je dirais qu’on est plus à l’étape de la vulgarisation de l’indice qu’en mode “oui ou non”. Certains producteurs qui avaient déjà un intérêt pour la question ont commencé à l’utiliser, mais leur nombre est assez minime pour l’instant. Les gens nous demandent c’est quoi, cet indice-là, comment les données ont été récoltées, comment ça fonctionne. »

Tout comme Alphonse Pittet, le spécialiste se montre confiant dans la capacité du secteur laitier à faire des progrès concernant l’indice génétique. Il fait remarquer que le nouvel indice possède une héritabilité relativement bonne, soit d’environ 20 %. Il précise : « C’est moins  que l’héritabilité des traits de production, mais c’est nettement plus que celle des traits de santé et de fertilité, qui joue entre 3 et 12 % », ajoutant que l’indice méthane n’est pas corrélé avec le rendement en lait, en gras et en protéine. « Donc, en sélectionnant pour ça, on ne nuit pas au rendement en lait, explique le conseiller du CIAQ. À l’inverse, si on sélectionne pour le rendement en lait, on ne nuit pas au méthane et on ne l’améliore pas. »

Pier-Olivier Lehoux précise aussi que la fiabilité de l’indice méthane est de 70 % : « C’est comparable à d’autres indices génomiques, comme la vitesse de traite, la durée de vie ou la résistance à la mammite. » Il tient à rassurer les producteurs qui s’inquiéteraient de la disponibilité des taureaux possédant un indice méthane supérieur à 100. « Je viens de vérifier, et juste chez Semex, il y a 840 taureaux améliorateurs, affirme-t-il. Il y a bien assez de taureaux améliorateurs pour qu’on puisse tenir compte de l’indice méthane sans faire de compromis sur les critères de production, les autres critères fonctionnels et les critères de conformation. »

Quel conseil donnerait-il à un producteur qui voudrait intégrer l’indice méthane à son plan d’amélioration génétique? « Je lui dirais de vérifier d’abord le statut de son propre troupeau, donc, de le faire génotyper, répond-il. C’est la base. Je compare ça à un plan de  fertilisation. Avant de fertiliser, on prend des analyses de sol. C’est la même chose pour le troupeau. À la limite, si un producteur devait choisir, je lui dirais de commencer par les génisses, puisque c’est l’avenir du troupeau. Mais l’idéal, c’est de génotyper aussi les vaches pour avoir le portrait global. »

« De toute façon, poursuit-il, celui qui veut utiliser de la semence sexée et de la semence de boucherie a intérêt à faire génotyper, car il ne veut passe tromper. Il ne veut pas laisser le hasard choisir qui seront les sujets des prochaines générations. Il faut de bonnes bases pour être aussi sélectif. »

« Comme ça, ajoute Pierre-Olivier, s’il veut sélectionner en fonction de l’indice méthane, le producteur saura quels animaux privilégier. Ensuite , je lui suggère d’utiliser uniquement des taureaux présentant un indice supérieur à 100. D’ailleurs, s’il utilise des taureaux améliorateurs avec des femelles qui ont elles aussi un indice méthane supérieur à 100, il va doubler le rythme de gain. » Soulignons que l’indice méthane moyen des troupeaux québécois se situe à 100. Concrètement, l’indice méthane de la plupart des troupeaux québécois se situe entre 99 et 102.

Pour les curieux, l’indice méthane moyen de la Ferme Pittet s’élève précisément à 100,2 avec des variations au sein du troupeau de 87 à 112.