Maintenir un minimum de capacités de transformation

Ce printemps, un conflit de travail dans une usine nous a montré, une fois de plus, notre vulnérabilité face aux capacités de transformation limitées.

Il est préoccupant que le moindre imprévu dans une usine, en raison d’une grève, de la météo, d’un bris d’équipement ou de l’entretien des lieux, mette sous pression l’équilibre entre le volume de lait produit et les capacités à recevoir et transformer ce lait.

Nous opérons dans un modèle de mise en marché qui prévoit une très faible saisonnalité de la production, et ce, au bénéfice de l’ensemble de la filière. Cette stabilité quant à la production assure une efficacité et une régularité dans les approvisionnements aux usines. C’est un modèle qui vise à ne pas générer de surplus ou de déficits sur le marché. Nous prévoyons plusieurs mois d’avance la production pour répondre aux besoins des entreprises de transformation. Nous travaillons avec des vaches, des êtres vivants, qui n’ont pas de bouton d’arrêt. Elles n’arrêtent pas de produire le temps de régler un conflit de travail ou durant les jours fériés. Et nous, producteurs, devons les traire deux fois par jour, sept jours par semaine, sans heures supplémentaires ni jours fériés payés. Le lait est un produit périssable qui ne peut être entreposé plus de deux jours à la ferme. Il doit être collecté et livré quotidiennement dans les meilleures conditions de salubrité pour en assurer sa qualité et sa conformité aux normes en vigueur.

Lorsque nous faisons face à des événements inattendus comme celui vécu ce printemps ou à l’été 2022, des efforts importants sont déployés pour minimiser le gaspillage alimentaire et les pertes financières pour les producteurs. Nous recherchons d’abord d’autres usines pour prendre le lait en trop, d’abord au Québec, mais aussi dans tout l’Est du Canada, des Maritimes à l’Ontario. Quand nous trouvons des partenaires pour transformer gratuitement le lait, nous priorisons toujours les dons aux banques alimentaires. Et finalement, en derniers recours, nous transformons la crème et utilisons les sous-produits de la transformation pour l’alimentation animale, en engrais dans les champs ou en énergie. Ces différentes étapes visent à éviter la disposition de lait entier, ce qui n’arrive qu’à de très rares occasions. Quand on se rend là, c’est qu’il n’y a pas d’autres solutions. On le sait, ce genre de situation a un impact direct sur les producteurs, et aucun d’entre nous n’aime voir du gaspillage alimentaire et le fruit de nos efforts quotidiens perdu. En plus de notre image publique mise à mal, nous devons supporter collectivement le fardeau financier. Il n’existe aucun programme pour couvrir les pertes qui se chiffrent parfois à plusieurs millions de dollars. C’est inacceptable : les producteurs ne peuvent supporter et subir seuls les impacts associés à l’incapacité des usines de recevoir les volumes de lait produits, et ce, d’autant plus lorsque les capacités de transformation existent, mais ne sont pas utilisées. Les producteurs n’ont aucune responsabilité ni aucun pouvoir sur ces épisodes.

C’est inacceptable : les producteurs ne peuvent supporter et subir seuls les impacts associés à l’incapacité des usines de recevoir les volumes de lait produits, et ce, d’autant plus lorsque les capacités de transformation existent, mais ne sont pas utilisées.

Ces événements, cumulés à l’évolution des choix des consommateurs vers des produits laitiers plus riches en gras et le plafonnement de nos exportations de solides non gras, rendent notre industrie vulnérable. Toutes les solutions possibles doivent être trouvées, et ce, en collaboration avec l’ensemble des parties prenantes du secteur laitier. Au sein de notre organisation, le travail a déjà été amorcé sur plusieurs fronts afin de générer des capacités de transformation supplémentaires : le développement d’un programme pour assurer la croissance à l’échelle canadienne, l’adoption d’outils fi nanciers pour contribuer à la solution et la dénonciation des règles d’approvisionnement pour réduire les fluctuations hebdomadaires.

Mais les gouvernements doivent aussi en faire plus. Durant la dernière campagne électorale, nous avons demandé à tous les partis politiques du Québec et du Canada d’investir pour assurer la transformation de l’ensemble des composants et éviter les pertes alimentaires. Nous avons aussi sollicité le gouvernement du Québec afin qu’il se dote d’outils législatifs pour permettre de maintenir un minimum de capacités de transformation, notamment lors de conflits de travail. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas reçu de réponse satisfaisante à cette demande. Nous respectons les droits des travailleurs de s’organiser et de faire pression sur leurs employeurs, mais les producteurs doivent cesser d’être les victimes collatérales de ces conflits sur lesquels nous n’avons aucune prise. La spécificité agricole de la production laitière est bien réelle et notre industrie ne peut être traitée comme la fabrication de boulons qui peut être temporairement interrompue, ceux-ci étant facilement entreposables. Transférer le fardeau économique entièrement sur les épaules des producteurs et les contraindre au gaspillage alimentaire est tout simplement inacceptable. Le secteur a besoin de prévoyance et d’être équipé dès maintenant pour faire face à de possibles crises.

Nous produisons du lait, un aliment essentiel. La nature même de nos activités devrait alors être considérée comme essentielle, et celles-ci, donc, être maintenues minimalement en tout temps. Si nous sommes d’ores et déjà engagés dans une démarche constructive avec nos partenaires pour mettre en œuvre certaines solutions, le législateur a sa part de responsabilité et nous souhaitons qu’il l’assume aussi. Notre vision est simple : nous voulons des entreprises laitières rentables, au sein d’une filière dynamique, innovante et durable. Pour y arriver, nous devons tous mettre la main à la pâte et régler le problème des capacités de transformation limitées.